Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les regards de Sénèque la question du philosophe, préparée sans doute par tout ce que Néron venait de leur dire sur ce qu’il avait à craindre de sa mère.

Ce qu’il importe, ce me semble, bien davantage de remarquer ici, c’est la réponse que fait Burrhus à cette horrible question. Il ne se récrie pas sur l’atrocité du crime, mais sur l’impossibilité qu’il y aurait d’y faire consentir les prétoriens, trop attachés à la mémoire de Germanicus pour oser rien entreprendre contre sa fille. Ce Burrhus et son ami Sénèque étaient pourtant les deux plus honnêtes gens de la cour de Néron. Qu’on juge par là de la scélératesse des autres courtisans.

(118). Frappe mon ventre, s’écria-t-elle en le lui présentant ; protendens uterum, ventrem feri, exclamavit. Ce mot d’Agrippine est sublime. Des critiques trop délicats voudraient peut-être que j’eusse traduit, frappe mon sein, cette expression leur paraissant plus noble, mais l’autre est plus énergique et plus juste.

(119). La fin de ce récit, et la remarque que nous avons déjà faite un peu plus haut sur la réponse de Burrhus à la question réelle ou supposée de Sénèque, relativement au meurtre d’Agrippine, prouvent malheureusement, ce me semble, et malgré les éloges que Tacite donne ailleurs à Burrhus et à Sénèque, que ces deux hommes, et surtout le philosophe, n’étaient peut-être pas aussi irréprochables qu’on le croit communément ; funeste exemple des écueils que la vertu et la philosophie trouvent à la cour. Je sais qu’un de nos plus illustres philosophes, et de nos meilleurs écrivains, a récemment publié une éloquente apologie du précepteur de Néron sur les reproches qu’on peut lui faire, non d’avoir été un lâche courtisan de ce monstre, comme le prétendent ses détracteurs, mais d’avoir eu pour son indigne élève quelques complaisances blâmables dans des circonstances où il aurait dû lui résister. Je n’ose pourtant condamner avec rigueur, ni le philosophe romain, ni son estimable apologiste ; mais j’avoue qu’il me reste encore des doutes que je voudrais bien pouvoir dissiper.

(120). Néron brûlait de conduire un char… et montrait un désir non moins méprisable de chanter, etc. Les mots cura et studium, qui sont dans le latin, semblent désigner non-seulement un désir, mais l’étude, et même l’habitude actuelle. Cependant ils sont aussi très-susceptibles du sens que j’ai suivi, et qui paraît déterminé par les mots suivans, pervinceret et concedere, qui expriment le consentement de Sénèque et de Burrhus à une des deux choses que Néron désirait, de peur qu’il ne s’obstinât à l’une et à l’autre si l’on s’opposait à toutes deux. Il y a des éditions qui, au lieu de cura, portent copia ; Gesner, dans son Dictionnaire , adopte cette leçon au mot copia, et il explique ces mots, vetus illi copia erat, par olim usu didicerat ; il s’était autrefois fort exercé à conduire des chars. Mais sans discuter si c’est là