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d’une langue morte, qu’on ne peut jamais savoir que très-imparfaitement. Ayant donc tout lieu de croire que l’original avait employé une expression hardie, n’étais-je pas suffisamment autorisé à en employer une qui l’est beaucoup moins, supposé même qu’elle le soit, et qui a d’ailleurs le mérite de faire image ? Il me semble, et c’est un des principes que j’ai cru pouvoir établir dans mes Observations sur l’Art de traduire, que les libertés prises par un auteur doivent encourager son traducteur à l’imiter, et que cette hardiesse des traducteurs, pourvu qu’ils en usent sagement et rarement, est un des principaux moyens d’enrichir les langues. »

(52). Dans les transports de leur douleur, ils semblaient avoir oublié leurs maîtres ; c’est-à-dire évidemment, qu’ils ne pensaient pas combien cette douleur devait déplaire à Tibère et à Livie. Ce sens me paraît si clair, et d’ailleurs si beau, que je ne vois pas par quelle raison un autre traducteur a rendu ainsi cet endroit : ils semblaient compter pour rien le reste de la maison impériale ; ce qui paraît signifier que les Romains, en pleurant si amèrement Germanicus, oubliaient même que, pour leur consolation, il leur restait encore des princes. Un tel sens me paraît non-seulement très-différent, mais presque absolument le contraire de ce que veut dire ici Tacite. Les Romains en effet n’auraient eu garde de se consoler en pensant encore aux maîtres qui leur restaient encore. Ils étaient trop affligés d’en avoir, et trop mécontens de ceux qu’ils avaient.

(53). Plusieurs censuraient la modicité de la pompe funèbre ; le texte dit fuere qui publici funeris pompam requirerent ; et l’on sait que requirere a plusieurs sens, dont le plus naturel ici est desiderare quod abest, demander ce qu’on n’a pas. C’est pour cela que j’avais traduit littéralement, dans les éditions précédentes, plusieurs demandaient une pompe funèbre ; mais comme Tibère avait en effet ordonné les funérailles de Germanicus, et qu’on les trouvait seulement trop peu magnifiques, j’ai cru devoir ici exprimer cette idée.

(54). Que la fête de Cybèle allait ramener. Le texte dit : megalenses ludi. Ces jeux se célélbraient le 4 avril , en l’honneur de la mère des Dieux, magnœ matris Deum ; c’était, comme l’on sait, le titre de Cybèle, et il y a apparence que le mot megalensis était dérivé du grec μέγας, qui signifie grand ; expression relative au titre magna mater, qu’on changeait même quelquefois en megalesiaca mater, comme on le voit dans un vers d’Ausone. C’est pour cette raison que, dans les éditions précédentes, j’avais rendu les mots megalenses ludi, par les grands jeux ; ces jeux étaient en effet très-solennels, et la fête de la mère des Dieux, une des principales de l’ancienne Rome. Dans cette édition, j’ai traduit, megalenses ludi, par la fête de Cybèle, afin de mettre les lecteurs plus au fait de la vraie signification de la phrase latine.