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entre les deux autres ; elle s’accorde bien avec l’orgueilleuse modestie que Tibère fit paraître en cette rencontre, et de plus avec le récit de Suétone. La signification propre et primitive du mot remittere, est renvoyer ; ainsi, dans cet endroit, remisit paraît signifier, ou simplement renvoya leur demande, c’est-à-dire, n’y consentit pas, ou renvoya cette demande à la volonté des sénateurs, c’est-à-dire les en laissa maîtres. Un traducteur estimable de Tacite a rendu la phrase latine par celle-ci, Tibère eut l’arrogance d’y condescendre ; il a supprimé le moderatione, dont apparemment il a senti le peu d’accord avec le sens qu’il adoptait. Je sais que le mot remittere signifie quelquefois, même dans les bons auteurs, accorder, consentir ; mais il a aussi d’autres sens dont je crois, dans cet endroit, avoir saisi le plus vraisemblable.

Parmi ces différens sens, il en est un qui pourrait aussi mériter quelque attention, et dont nous croyons, par ce motif, devoir faire mention dans cette note. Remittere peut signifier quelquefois remettre ce qui est dû, se relâcher de ce qu’on est en droit de prétendre ; dispenser de ce qu’on peut exiger : à peu près comme la phrase arcum remittere, signifie relâcher un arc. En adoptant ici cette acception, et en supposant que l’insolent Tibère regardait comme un devoir des sénateurs de porter sur leurs épaules le cadavre de leur maître, on pourrait traduire, Tibère les en dispensa ; l’orgueilleuse modestie s’accorderait très-bien avec ce sens, mais il ne s’ajusterait pas aussi parfaitement avec le fait attesté par Suétone, que les sénateurs portèrent le corps d’Auguste sur leurs épaules. Il faut avouer cependant qu’ils pouvaient, sans craindre d’offenser Tibère, se dévouer librement à un acte de bassesse dont il les aurait dispensés : il vaudrait donc mieux supposer ici une simple dispense, qu’un refus dont ces hommes vils n’auraient peut-être pas osé s’affranchir, même pour rendre un hommage servile au tyran qu’ils redoutaient et qu’ils voulaient flatter. Mais le sens que j’ai adopté, et qui concilie tout, me semble préférable aux autres. Je m’en rapporte au jugement de littérateurs instruits ; et j’ajoute qu’il me paraît difficile de rendra ici le mot remisit (quelque acception qu’on lui donne) d’une manière qui ne laisse absolument rien à désirer, soit pour l’exactitude du sens, soit pour la justesse de l’expression. J’ai exposé les raisons pour et contre ; c’est au lecteur à prononcer.

(17). Ménagé les alliés ; il y a dans le texte modestiam apud socios ; et il me semble que modestiam se rapporte ici à Auguste qui avait traité avec douceur et modération les alliés de l’Empire, en même temps qu’il avait gouverné avec justice les citoyens, jus apud cives. D’autres traducteurs rapportent les mots jus et modestiam à cives et à socios, et traduisent qu’Auguste avait ramené la justice chez les citoyens, et la modestie chez les alliés ; vraisemblablement ils ont été déterminés à ce sujet par la proposition apud. Mais l’autre sens me paraît plus vraisemblable en sous-entendant (ce qui est très--