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offre toute la terre aux gens de cœur. Reprenez les mœurs de vos pères, et renoncez à ces plaisirs qui vous ont plus soumis aux Romains que leurs armes : rétablis ainsi, et abjurant sincèrement l’esclavage, vous serez nos égaux, et commanderez à d’autres.

Discours de Cérialis, général romain, aux ambassadeurs des ennemis.

Peu exercé dans l’éloquence, je ne vous ai fait connaître que par les armes la valeur du peuple romain ; mais puisque les paroles ont tant d’effet sur vous, puisque vous jugez des biens et des maux par les seuls discours des séditieux, je vais vous dire en peu de mots ce qui vous importe plus qu’à moi, la guerre étant finie.

Les généraux romains sont entrés dans votre pays, non pour l’envahir, mais à la prière de vos ancêtres, las de leurs funestes divisions, et du secours même des Germains, qui opprimaient également leurs ennemis et leurs alliés. Croyez-vous être plus chers à Civilis et aux Bataves, que vos pères ne l’ont été aux leurs ?

Le même appât attirera toujours les Germains dans les Gaules, la cupidité, l’avarice, le désir d’une autre habitation ; ils quittent leurs marais et leurs déserts pour se rendre maîtres de votre beau pays et de vous-mêmes. Le nom spécieux de liberté n’est que leur prétexte ; c’est toujours ce mot qu’on répète quand on veut asservir et dominer.

La Gaule n’a eu que des tyrans et des guerres, jusqu’au moment où elle a reçu nos lois. Bravés tant de fois par vous, nous n’avons exigé, comme vainqueurs, que ce qu’il fallait pour vous maintenir en paix ; nulle part, en effet, il n’y a de paix sans armé, d’armée sans solde, de solde sans tribut. Tout le reste est commun entre nous. Souvent vous commandez nos légions ; vous gouvernez ces provinces et les autres. Rien n’est réservé pour nous, fermé pour vous. Quoiqu’éloignés, vous jouissez avec nous des bons princes ; les mauvais ne pèsent que sur ceux qui les approchent. D’ailleurs, le luxe et l’avarice d’un maître est un mal qu’il faut souffrir, comme la stérilité, les orages et les autres fléaux de la nature.

Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des vices ; mais le vice ne dure pas toujours ; le bien succède, et le répare. Huit cents ans de travaux et de victoires ont formé la grande masse de notre Empire ; elle écraserait ceux qui la renverseraient. Aimez donc Rome, et conservez la paix, ce bien commun des