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dité pour la gloire ; avare des deniers publics, et ménageant son bien sans désirer celui d’autrui ; supportant sans peine (159) les vertus de ses amis et de ses affranchis, quand ils en avaient, et ignorant aussi leurs vices avec une indifférence coupable. Mais sa naissance, honneur alors très-dangereux, fit donner à cette indolence le nom de sagesse. Dans la vigueur de l’âge il se distingua en Germanie par ses talens militaires ; proconsul, il gouverna l’Afrique avec modération, et l’Espagne, dans sa vieillesse, avec la même équité ; supérieur en apparence à l’état privé jusqu’à ce qu’il en fut sorti, et digne de l’Empire, au jugement de tout le monde, tant qu’il ne régna pas.

Mort de Tigellinus.

Rome témoigna une grande joie en obtenant la mort de Tigellinus. Né de parens obscurs, infâme dès son enfance et jusque dans sa vieillesse, il acquit, par ses vices, le commandement des gardes et du prétoire, et les autres récompenses que la vertu obtient plus lentement ; bientôt, livré à la cruauté, à l’avarice, à tous les crimes des scélérats, il corrompit profondément Néron, osa même quelques forfaits à son insu, et finit par le trahir. Aussi ceux qui détestaient ou qui regrettaient ce tyran, demandaient avec la même ardeur la perte de Tigellinus. Il fut sauvé, sous Galba, par le crédit de T. Vinius, dont il avait sauvé la fille, non par humanité (qu’il avait immolée en tant d’endroits), mais pour s’assurer un asile ; car les méchans, peu sûrs de leur crédit, et toujours en crainte, se préparent contre la haine publique la faveur privée ; ils sauvent, innocent ou coupable, celui qui pourra les sauver un jour. Le peuple, doublement animé par son ancienne horreur pour lui et sa haine récente pour Vinius, accourant de toutes parts au palais, au Forum, surtout au cirque et au théâtre, siège de la licence, criait avec fureur qu’on l’immolât. Tigellinus apprit, aux bains de Sinuesse, qu’il fallait périr. Il traîna lâchement sa fin dans les bras de ses concubines et s’égorgea avec un rasoir, ajoutant à l’opprobre de sa vie et la lenteur et la honte de sa mort.

Autre Discours d’Othon aux soldats.

Je ne viens, chers compagnons, ranimer ni votre zèle pour moi, ni votre courage, car l’un et l’autre sont à leur comble ; mais vous prier de les modérer. Le dernier tumulte n’a pour cause ni la cupidité ni la haine qui ont troublé tant d’armées, ni même la crainte et la fuite du péril, mais votre affection plus vive que prudente ; car souvent la vertu même échoue, si la