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avoir ruiné son maître, fournit les moyens de le perdre. Il se joignit Claudius Demianus, que Vetus, étant proconsul d’Asie, avait fait arrêter pour ses crimes, et que Néron relâcha pour prix de la délation. Vetus apprenant qu’on le mettait aux prises avec un affranchi, se retire à sa terre de Formies ; des soldats l’y assiègent secrètement. Avec lui était sa fille, tourmentée par le danger présent et par le souvenir cruel de Plautus son époux ; elle croyait voir encore ses assassins et embrasser sa tête sanglante, conservait les habits teints de son sang, et, toujours dans le deuil et les larmes (138), ne prenait d’alimens que pour se conserver à son père (139). Il l’engage à se rendre à Naples. Elle ne put pénétrer jusqu’à Néron, mais l’assiégeait dès qu’il sortait et lui criait, tantôt en gémissant, tantôt avec une force au-dessus de son sexe, d’écouter l’innocence et de ne pas sacrifier à un affranchi son ancien collègue dans le consulat. Néron fut également sourd aux prières et aux reproches.

Elle déclare donc à son père qu’il faut renoncer à l’espérance et mourir. Vetus apprend en même temps que le sénat se dispose à le juger sévèrement. On lui conseillait de laisser à l’empereur une grande partie de ses biens, pour conserver le reste à ses petits-fils : il se refusa à cette bassesse pour ne point déshonorer, en mourant, une vie glorieuse et libre ; donna à ses esclaves ce qu’il avait d’argent, leur dit de partager entre eux tout ce qu’ils pourraient emporter, et de ne lui laisser que trois lits de mort. Alors tous trois, dans la même chambre et avec le même fer, se font ouvrir les veines, et, couverts d’une manière décente, sont portés ensemble dans le bain ; le père regardait sa fille, l’aïeule sa petite-fille, et celle-là l’un et l’autre, chacun priant les dieux de hâter son dernier soupir pour ne pas voir expirer ce qu’il aimait. L’ordre de la nature fut conservé ; les plus âgés s’éteignirent d’abord. Ils furent accusés après leur sépulture et condamnés au supplice. Néron s’y opposa et leur laissa le choix de leur mort. C’est ainsi qu’après le meurtre il insultait ses victimes.

Pétrone mérite qu’on dise un mot de lui. Il donnait le jour au sommeil, la nuit aux devoirs et aux plaisirs. Sa paresse lui avait fait un nom, comme l’adresse ou le mérite en fait un (140) aux autres. Ce n’était point un de ces dissipateurs qui se ruinent en viles débauches, mais un voluptueux raffiné. Une aisance naturelle et une sorte de négligence dans ses discours et dans ses actions lui donnait l’air et les grâces de la simplicité. Devenu cependant proconsul de Bithynie et ensuite consul, il se montra homme de tête et capable d’affaires ; revenu par goût au vice ou à ce qui ressemblait au vice (141); il fut admis dans la petite