Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les gardes de la porte le conduisent à Epaphrodite, affranchi de Néron, et celui-ci à Néron même, à qui il apprend la conjuration qui menaçait sa tête, et tout ce qu’il avait pu savoir et conjecturer. Il lui montre même le poignard destiné pour lui, et demande d’être confronté à l’accusé. Scevinus, enlevé par des soldats, osa se défendre. « Le poignard qu’on lui représente, dit-il, est un héritage de ses pères qu’il conservait avec soin, et que son affranchi lui a volé ; il a souvent travaillé à son testament sans distinction de jours ; plus d’une fois il a donné la liberté et de l’argent à ses esclaves ; mais en ce moment plus qu’à l’ordinaire, parce que son bien étant fort diminué, et ses créanciers en grand nombre, il n’ose compter sur son testament ; sa table a toujours été délicate, sa vie voluptueuse, et peu approuvée des juges sévères ; il n’a point demandé de bandages ; mais à des calomnies évidentes, le délateur ajoutait ce mensonge pour les attester. » À ce discours il joignit tant d’assurance, et traita d’un air et d’un ton si ferme son affranchi de scélérat et d’infâme, que l’accusateur était confondu, si sa femme ne lui eût rappelé que Natalis avait eu avec Scevinus un entretien long et secret, et que tous deux étaient amis de Pison.

On fait donc venir Natalis ; on les interroge à part sur l’objet de cet entretien ; le peu d’accord de leurs réponses fait naître des soupçons ; on les met aux fers. L’appareil de la torture les effraie. Natalis, plus au fait de la conjuration et des moyens de charger ses complices, nomme d’abord Pison ; il y joint Sénèque, soit qu’il eût été négociateur entre l’un et l’autre, soit pour obtenir sa grâce de Néron, qui, haïssant Sénèque, cherchait tous les moyens de le perdre. Scevinus, instruit des aveux de Natalis, et soit par faiblesse comme lui, soit dans l’idée que tout est su, et le silence inutile, dénonce les autres ; Lucain, Quintianius et Sénécion nièrent long-temps. Séduits enfin par l’impunité qu’on leur promit, et voulant comme excuser leur long désaveu, Lucain nomma Acilia sa mère, Quintianus et Sénécion, leurs amis intimes, Glicius Gallus et Asinius Pollion.

Cependant Néron se rappelle qu’Epicharis est arrêtée sur la déposition de Proculus ; et croyant qu’une femme ne résisterait pas à la torture, la lui fait donner cruellement. Mais ni le feu, ni les fouets, ni l’acharnement de ses bourreaux, irrités de se voir bravés par une femme, ne lui arrachèrent un aveu. C’est ainsi qu’elle résista le premier jour ; traînée le lendemain au même supplice, et portée sur une chaise (car ses membres disloqués ne pouvaient la soutenir), elle ôta sa ceinture (134), l’attacha en forme de corde au haut de la chaise, y passa le cou, et s’étranglant par le poids de son corps, rendit le peu de