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Commencement de la disgrâce de Britannicus.

Les cœurs les moins sensibles furent touchés du sort de Britannicus[1]. On le priva même peu à peu des esclaves qui le servaient : aussi se moquait-il des soins affectés de sa belle-mère, dont il sentait la fausseté ; car on assure qu’il ne manquait pas de caractère ; soit qu’en effet il en eût, soit que l’intérêt inspiré par ses malheurs lui ait valu un éloge peu mérité.

Discours de Caractacus[2] à l’empereur Claude.

Si ma modération dans les succès eût égalé mon rang et ma fortune, vous me verriez ici comme ami, non comme captif, et daigneriez peut-être traiter avec un prince illustré par ses aïeux, puissant par ses États. Mon malheur, humiliant pour moi, est glorieux pour vous. J’avais des chevaux, des soldats, des armes, des trésors, devais-je les perdre sans combattre ? et si Rome veut asservir l’univers, faut-il que l’univers y consente ? En me livrant volontairement à vous, ni moi, ni mes vainqueurs n’auraient eu de gloire. Mon supplice ferait oublier le coupable, ma grâce immortalisera votre clémence.


SUITES DE LA MORT DE BRITANNICUS.

Néron se justifia, par un édit, d’avoir hâté les funérailles de Britannicus[3] : c’était, disait-il, un ancien usage d’écarter des yeux du peuple les morts précipitées (102), sans les lui retracer par un éloge ou par une pompe funèbre ; il ajoutait, qu’ayant perdu le secours de son frère il n’avait d’espoir que dans la république ; que le sénat et le peuple devaient redoubler d’intérêt pour un prince, seul reste d’une famille née pour l’empire du monde.

Il combla ensuite de largesses ses plus chers courtisans. Quelques uns d’eux, qui affectaient des mœurs sévères, essuyèrent le reproche d’avoir partagé, comme un butin, les maisons d’un prince empoisonné (103) ; d’autres les y croyaient forcés par

  1. Agrippine, fille de Germanicus et femme de Claude, après la mort de Messaline, avait fait adopter Néron son fils par l’empereur, au préjudice de Britannicus, héritier légitime de l’Empire.
  2. Roi barbare, et prisonnier.
  3. Tout le monde sait de quelle manière Néron fit périr Britannicus. On connaît la tragédie de Racine sur ce sujet.