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l’empereur de ne pas se rendre odieux, en sacrifiant une épouse, sans l’entendre. Narcisse répondit que Claude permettrait et écouterait les défenses de Messaline ; que la vestale retournât à ses fonctions sacrées.

Claude gardait un silence étrange ; Vitellius feignait d’ignorer tout ; l’affranchi resta le maître ; il fait ouvrir la maison de Silius, y conduit l’empereur, lui montre, dès le vestibule, l’image de Silius le père, que le sénat avait ordonné d’abattre, ensuite toutes les richesses des Drusus et des Nérons, devenues le prix de l’infamie. Claude, irrité et menaçant, est présenté par Narcisse aux soldats assemblés dans le camp : sa harangue, dictée par l’affranchi, fut courte ; car la honte étouffait sa juste douleur. Les cohortes demandent à grands cris le nom et la punition des coupables. Silius, traîné devant le tribunal, ne chercha pas même à se défendre, et pria qu’on hâtât sa mort. D’illustres chevaliers Romains demandèrent la même grâce avec le même courage.

Le seul Mnester retarda son supplice, déchirant ses habits, montrant les coups qu’il avait reçus, et rappelant à l’empereur ses ordres d’obéir en tout à Messaline ; « que les autres coupables étaient gagnés par des présens ou des promesses ; lui forcé de l’être, et que Silius, devenu empereur, l’aurait fait périr le premier. » Claude, ébranlé, penchait vers la clémence (99) ; mais ses affranchis lui persuadèrent de ne pas épargner un histrion, après avoir fait mourir tant de citoyens distingués ; qu’il importait peu s’il avait commis de force ou de gré un si grand crime. On n’écouta pas même dans sa défense Traulus Montanus, chevalier romain, jeune homme d’ailleurs sage, mais d’une grande beauté, que Messaline avait appelé et renvoyé dans la même nuit ; aussi portée au dégoût, qu’effrénée dans ses désirs. On fit grâce de la vie à Plautius Lateranus, à cause du grand mérite de son oncle ; et à Suilius Cesoninus par le mépris qu’il inspirait, s’étant prostitué comme une femme dans cette fête abominable.

Cependant Messaline, dans les jardins de Lucullus, composait, pour sauver sa vie, une requête à l’empereur, espérant quelquefois, et quelquefois furieuse, tant il lui restait d’orgueil dans son malheur ! Si Narcisse n’eût hâté sa mort, la délation le perdait lui-même : car Claude étant retourné chez lui, et ayant (100) avancé l’heure de son repas, ordonna dès que le vin l’eut échauffé et radouci, qu’on allât dire à cette malheureuse (on prétend qu’il l’appela ainsi) de venir le lendemain se justifier. Narcisse, voyant la colère s’éteindre et l’amour renaître, craignit que, s’il perdait un moment, la nuit et la chambre ne retra-