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dant le pouvoir de Messaline sur l’imbécile Claude, et se rappelaient tous les meurtres qu’elle avait ordonnés ; mais la faiblesse même de l’empereur leur redonnait l’espérance de le subjuguer par l’énormité de l’accusation, et de faire condamner Messaline sans autre forme. Il importait surtout d’empêcher qu’elle ne se défendît, et de fermer l’oreille de Claude à l’aveu même du crime.

D’abord Calliste, dont j’ai déjà parlé à l’occasion du meurtre de C. César, Narcisse, l’auteur de la mort d’Appius, et Pallas, qui jouissait alors du plus grand crédit, pensèrent à détacher Messaline de Silius par de secrètes menaces, en dissimulant tout le reste. Mais bientôt, craignant de se perdre, Pallas abandonna tout par lâcheté ; et Calliste, parce que l’expérience de la cour lui avait appris que la prudence y assurait mieux le pouvoir que la violence. Narcisse persista, avec la précaution de ne laisser pressentir à Messaline ni l’accusation, ni l’accusateur. Saisissant donc l’occasion du long séjour de l’empereur à Ostie, il s’adresse à deux courtisanes dont Claude avait souvent joui, et les engage à la délation par présens, par promesses, et par l’espoir de la faveur que la mort de Messaline leur assurait.

Calpurnia, l’une de ces femmes, admise auprès de l’empereur, se jette à ses genoux, et s’écrie que Messaline a épousé Silius. Elle demande à Cléopâtre, sa compagne, qui se tenait là à dessein, si elle ne l’avait point ouï dire ; et sur son aveu, elle prie qu’on appelle Narcisse (95). Celui-ci demande pardon à l’empereur du passé, de lui avoir caché Vectius et Plautius[1] ; qu’il ne parlerait point des adultères de Messaline, pour ne pas lui faire perdre ses esclaves, sa maison et sa fortune ; qu’elle pouvait jouir de tout (96) ; mais qu’elle rendît à l’empereur une épouse, et rompît son nouveau mariage. « Vous seul, dit-il à Claude, ignorez-vous votre déshonneur ? Le peuple, le sénat, les soldats, ont vu les noces de Silius ; et si vous tardez d’agir, le nouvel époux est maître de Rome. »

Claude appelle ses principaux confidens, Turranius, intendant des vivres, Geta, chef des prétoriens, et les interroge sur ce fait. Ils le confirment ; les courtisans s’écrient qu’il faut aller au camp s’assurer des prétoriens, songer à se défendre avant de se venger. Claude fut, dit-on, si effrayé qu’il demanda plusieurs fois s’il était encore le maître ou Silius à sa place ? Cependant Messaline, plus débordée que jamais, représente, au milieu de l’automne, des vendanges dans sa maison ; les pressoirs jouaient, des ruisseaux de vin coulaient, et des femmes, couvertes de peaux, dansaient comme des Bacchantes dans le sacrifice

  1. Deux amans que Messaline avait eus avant Silius.