Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
DE TACITE.
Fin de Tibère.

Peu de temps après, entrèrent en charge les derniers consuls du règne de Tibère, Acerronius et Pontius ; déjà le pouvoir de Macron était énorme. N’ayant jamais négligé la faveur de Caïus César[1], il la recherchait plus ardemment de jour en jour. Après la mort de Claudia, femme de ce prince, il avait engagé Ennia, son épouse, à le séduire, et à tirer de lui une promesse de mariage, persuadé que Caïus se prêterait à tout pour devenir le maître ; car, malgré son naturel violent, il avait appris dans le sein de son aïeul la dissimulation et la fausseté.

Tibère, qui le connaissait, balançait sur le choix d’un successeur, et d’abord entre ses petits-fils. Le fils de Drusus lui était plus cher et plus proche, mais encore enfant. Le fils de Germanicus, dans la force de la jeunesse, avait pour lui les vœux du peuple ; raison pour Tibère de le haïr. Il eut quelques vues sur Claude, d’un âge mûr et porté au bien ; mais l’esprit faible de ce prince l’arrêta. En cherchant un successeur hors de sa maison, il craignait pour la mémoire d’Auguste et la famille des Césars ; car il avait moins à cœur l’avantage (89) présent des peuples que la vanité de perpétuer son nom. Dans cette incertitude, trop malade pour se décider, il s’en remit au hasard, laissant néanmoins échapper quelques mots pour se montrer prévoyant dans l’avenir. Il reprocha sans détour à Macron, de tourner le dos au couchant et le visage au levant, et prédit à C. César, qui dans une conversation se moquait de Sylla, qu’il n’en aurait que les vices (90) ; puis embrassant, les larmes aux yeux, le plus jeune de ses petits-fils : Tu l’égorgeras, dit-il à Caïus, qui lançait des regards féroces, et un autre t’égorgera. Mais, quoiqu’il empirât à vue d’œil, il ne relâchait rien de ses débauches, jouait la force en cachant ses souffrances (91), se moquait de la médecine, et de ceux qui, passé trente ans, avaient recours aux autres pour connaître ce qui était utile ou nuisible à leur santé.

Cependant Arruntius, Domitius et Marsus furent accusés d’inmpiété envers l’empereur. Domitius et Marsus évitèrent la mort en feignant, l’un de méditer sa défense, l’autre de se laisser mourir de faim. Les amis d’Arruntius lui conseillaient de gagner aussi du temps ; il leur répondit : « Que l’honneur ne parlait pas de même à chacun ; qu’il avait assez vécu, et ne regrettait que d’avoir traîné entre le péril et le mépris une vieillesse agitée, haï d’abord de Séjan, ensuite de Macron, et

  1. Caligula, fils de Germanicus : il devait succéder à Tibère, et lui succéda en effet, comme nous l’avons déjà dit.