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DE TACITE.

abuse. La plupart croient que le sort de chacun est attaché à sa naissance, mais que l’ignorance des astrologues rend souvent leurs prédictions trompeuses ; ce qui décrédite un art dont la réalité paraît démontrée par des exemples anciens et modernes. En effet, le fils du même Trasylle promit aussi l’empire à Néron, comme je le raconterai dans le temps.

Mort d’Asinius Gallus, de Drusus, fils de Germanicus, et d’Agrippine.

Cette même année, on sut qu’Asinius Gallus était mort de faim ; on ignora si c’était de force ou volontairement. Tibère, sollicité pour ses funérailles, ne rougit pas de les permettre, et de se plaindre du destin, qui avait enlevé le coupable avant la conviction ; comme si trois années entières n’avaient pas suffi pour faire le procès à ce vieillard consulaire, père de tant de consuls. Drusus[1] périt ensuite, après s’être misérablement nourri pendant neuf jours de la bourre de son lit. On prétendit que Macron[2] avait ordre, en cas que Séjan prît les armes, de tirer Drusus du palais où il était enfermé, et de le mettre à la tête du peuple ; mais le bruit ayant couru que l’empereur se réconciliait avec sa belle-fille et son petit-fils, Tibère préféra la cruauté au repentir.

Il outragea même Drusus après sa mort, l’appelant infâme débauché, ennemi des siens et de l’État, et fit lire le journal de ses actions et de ses paroles. On frémit de l’atrocité qui avait tenu, durant tant d’années, auprès du jeune prince, des espions de sa contenance, de ses pleurs, et même de ses murmures secrets. À peine croyait-on que son aïeul eût pu entendre, lire et publier ces horreurs ; mais les lettres du centurion Actius et de l’affranchi Didyme nommaient les esclaves qui avaient maltraité ou menacé Drusus lorsqu’il sortait de sa chambre. Le centurion même racontait, comme pour s’en vanter, ses discours barbares, et les dernières paroles de Drusus, qui d’abord, paraissant en délire, avait maudit Tibère, et bientôt, sûr de mourir, l’avait accablé d’imprécations réfléchies, souhaitant que ce meurtrier de sa belle-fille, de son neveu, de ses petits-fils, qui avait inondé de sang toute sa maison, satisfît par son supplice au nom illustre de ses ancêtres et à la postérité. Le sénat murmurait, détestant en apparence ces discours, mais en effet pénétré d’horreur de voir que Tibère, qui, autrefois dissimulé, commettait dans l’obscurité ses crimes, eût enfin l’audace de montrer comme à

  1. Fils de Germanicus.
  2. Affranchi de Tibère, qui avait succédé à la faveur de Séjan.