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compensaient la complaisance, et menaçaient les refus ; si leur famille s’y opposait, on avait recours aux enlèvemens, et à toutes les violences qu’on exerce dans une ville prise.

Lettre remarquable de Tibère, et mort de Livie.

La lettre de l’empereur commençait par un trait remarquable : « Sénateurs, que dois-je vous écrire, ou vous taire, ou comment vous écrire dans ces circonstances ? Si je le sais, que tous les dieux et toutes les déesses me fassent périr plus cruellement encore que je ne me sens périr de jour en jour. » Tant il était tourmenté de ses infamies et de ses crimes ! Aussi le plus sage (85) des hommes a-t-il eu raison de dire que si on découvrait l’âme des tyrans, on la verrait percée de coups, et mortellement déchirée par la cruauté, la scélératesse et la débauche ; ni la grandeur, ni la solitude ne sauvaient à Tibère l’horreur et l’aveu des chagrins qui le dévoraient.

Cette même année, mourut l’impératrice Livie, très-avancée en âge. Fidèle dans son intérieur aux mœurs anciennes, et moins austère au dehors qu’elles ne le permettaient, mère impérieuse, épouse complaisante, elle était bien faite pour un mari artificieux et un fils dissimulé. Tibère, qui s’était dispensé de lui rendre les derniers devoirs pour ne point troubler sa vie voluptueuse, s’en excusa sur les affaires qui l’accablaient, et diminua, comme par modestie, les grands honneurs décernés à sa mère, disant qu’elle l’avait voulu ainsi. Dans sa lettre il blâmait les liaisons avec les femmes, désignant indirectement le consul Fufius, ami intime de Livie, mais dont la causticité avait souvent lancé sur Tibère ces railleries piquantes que les souverains n’oublient jamais.

Depuis cette mort, le despotisme fut plus violent et plus oppresseur. Du vivant de Livie, il restait un asile ; Tibère avait toujours eu des égards pour sa mère, et Séjan n’osait les combattre. Libres enfin, et comme déchaînés, ils s’élancèrent sur l’État.

Défense de Térentius.

Dans le temps où les amis même de Séjan[1] se défendaient de l’avoir été, M. Terentius, chevalier romain, qu’on en accusa, eut le courage d’en convenir, et tint au sénat ce discours : « Je risquerais peut-être moins à nier mon prétendu crime qu’à l’avouer ; mais, quoi qu’il en arrive, je déclare que j’ai été l’ami de Séjan, empressé de l’être, et charmé de l’être de-

  1. Ce favori de Tibère avait été disgracié, et puni de mort.