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Tibère n’avait pas fait sans dessein cette action odieuse ; qu’il se préparait à ne rien respecter (82), en faisant ouvrir à la fois, par les nouveaux magistrats, les temples et les prisons. L’empereur remercia par lettres les sénateurs d’avoir puni l’ennemi de l’État, ajoutant que les complots de la haine le faisaient craindre pour sa vie ; il ne nommait personne, mais désignait clairement Agrippine et Néron[1].

Asinius Gallus (83), dont les enfans étaient neveux d’Agrippine, fut d’avis qu’on priât l’empereur d’expliquer ses craintes, et de permettre que le sénat les fît cesser. Tibère, entre autres qualités qu’il croyait avoir, se piquait surtout de dissimulation ; il trouva donc très-mauvais qu’on soulevât le masque dont il se couvrait (84). Séjan l’adoucit, non par amour pour Gallus, mais pour laisser développer la vengeance de l’empereur. Il savait que Tibère, lent dans ses projets, joignait, dès qu’il avait éclaté, l’atrocité des actions à celle des discours.

Si mon plan n’était de placer les faits à leur année, je rapporterais d’avance la fin funeste de Latiaris, d’Opsius et de leurs infâmes complices, soit pendant le règne de C. César[2], soit du vivant même de Tibère ; il ne laissait point écraser par d’autres les ministres de ses crimes ; mais souvent rassasié d’eux jusqu’à la haine, et trouvant des scélérats nouveaux, il se défaisait des anciens.


DÉBAUCHES DE TIBÈRE.

Les consuls Domitius et Scribonianus venaient d’entrer en charge lorsque Tibère traversa le détroit qui va de Surrente à Caprée. Il côtoya la Campanie, incertain s’il rentrerait dans Rome, ou plutôt feignant de le vouloir, parce qu’il ne le voulait pas ; il s’en approcha plusieurs fois, vint même jusqu’à son jardin près du Tibre, puis revint à son île et à ses rochers, pour y cacher ses crimes et ses débauches : il s’y livrait avec tant de fureur, qu’il y faisait servir, suivant l’usage des tyrans, les jeunes gens d’honnête famille ; tout excitait sa brutalité, la beauté des traits et de la taille, l’enfance modeste des uns, le nom illustre des autres ; l’infamie des lieux et des actions fit inventer des termes nouveaux. Des esclaves choisis attiraient ces jeunes gens, ré-

  1. Fils de Germanicus.
  2. Fils de Germanicus, autrement appelé Caligula. Il succéda à Tibère.