Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, III.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvait plus connaître le goût, le ton et la manière, s’expliqua, sur la comédie des Dehors trompeurs, avec plus de fiel que d’équité ; il eût mieux fait d’en donner une meilleure, et on aurait pu lui appliquer ce vers d’une tragédie connue, inutile leçon des écrivains difficiles et médiocres :

Vous fûtes malheureux, et vous êtes cruel !

Boissy, que sa pièce des Dehors trompeurs mettait au rang des vrais poètes comiques, avait, dit-on, formé le projet de faire une seconde comédie du même titre, mais toute différente, et presque opposée par le caractère qu’il voulait y peindre. La première avait offert sur la scène un homme aimable et recherché dans les sociétés passagères et frivoles, insupportable dans l’intérieur de sa maison, un homme tout au plus fait pour être une connaissance agréable, quoiqu’indifférente, et ne sachant être ni amant, ni époux, ni ami. Il voulait tracer dans la seconde pièce un tableau moins commun, celui d’un homme peu aimable dans la société, insupportable même à ceux qui ne le voient qu’en passant, et facile pour tous ceux qui dépendent de lui ou qui en ont besoin. Ce tableau, quoique le monde en offre quelques modèles, était plus difficile à tracer que l’autre, non seulement parce que les originaux en sont plus rares, mais parce que ce genre de contraste de la bonté domestique avec la dureté extérieure, serait peut-être moins piquant sur la scène, que le contraste opposé de la bonté extérieure et de la dureté domestique. Ce fut peut-être la raison qui fit renoncer Boissy à son projet. Il était d’ailleurs bien plus commode pour lui de composer des pièces où il n’avait à soigner que les détails, sans s’occuper beaucoup de l’ensemble ; le fond lui était si indifférent, qu’embarrassé quelquefois du titre qu’il donnerait à l’ouvrage, il prenait le parti de laisser ce titre en blanc, et de s’en remettre là-dessus aux spectateurs. Deux de ses comédies ont pour titre, la ***, et le Je ne sais quoi ; et le public même, en les accueillant, les a trouvées dignes de ces titres, qu’il n’a pas cru devoir changer.

Souvent même l’auteur ne cherchait pas à traiter des sujets où il pût coudre une intrigue quelconque, et lier, bien ou mal, les scènes entre elles. Un grand nombre de ses pièces, surtout parmi celles que nous avons appelées vaudevilles du temps, sont à scènes détachées, qu’on nomme autrement scènes épisodiques ; ce mot ne veut pas dire qu’on s’est permis dans la pièce quelques épisodes, liberté qui est un défaut ; mais, ce qui en est un bien plus grand, que dans la pièce tout est épisode, et rien n’est sujet. Un nom plus précis et plus juste, qu’on donne encore à ces comédies, est celui de pièces à tiroirs ; expression d’autant