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sur ce sujet. Cette digression, si c’en est une, n’en fera que mieux connaître le système et l’esprit jésuitiques.

Toute l’Europe littéraire a été témoin du déchaînement des Jésuites contre l’Encyclopédie ; mais toute l’Europe ne sait pas que la cause de leur déchaînement était le refus qu’on avait fait de leur confier la partie théologique de ce dictionnaire. Il faut avouer, monsieur, que cette partie eût été en bonnes mains, demandez-le aux magistrats rédacteurs des assertions. C’est néanmoins ce refus qui a produit tant de violentes sorties des journalistes de Trévoux contre cet ouvrage ; sorties qui n’ont cessé que depuis l’avertissement du troisième volume de l’Encyclopédie, où l’on a mis au jour, avec autant d’évidence que de modération, la justice des détracteurs. Ce n’est pas que le dictionnaire dont il s’agit soit à l’abri de la critique, il s’en faut beaucoup ; je pense au contraire que nul ouvrage n’en est plus susceptible par sa nature, par sa forme, par la multitude des objets qu’il embrasse, par les fautes de commission et d’omission qui y sont inévitables, par le trop grand nombre d’écrivains qui y ont concouru, et qui ne s’accordent pas toujours entre eux, par la négligence qu’on aperçoit dans le travail de quelques-uns, par les déclamations que d’autres se sont permises, enfin par les écarts où l’on dit que les auteurs sont tombés sur des matières respectables. Un critique qui aurait eu de l’équité, eût sans doute remarqué ces sources d’imperfections ; mais il eût, ce me semble, en même temps rendu justice à tout ce que l’ouvrage contient d’utile, d’estimable, de neuf même et de précieux dans bien des genres ; il aurait avoué que l’Encyclopédie était un des plus beaux monuments que les lettres pussent élever au règne de Louis XV, et que si ce monument laisse encore beaucoup à désirer, c’est pour le moins autant la faute des circonstances que celle des auteurs. D’ailleurs, plus cet ouvrage prêtait à la censure, plus les journalistes sont inexcusables de lui avoir si souvent porté des coups qui retombaient sur eux-mêmes. Je ne vous en rapporterai, monsieur, que deux exemples qui pourront vous réjouir un moment par leur singularité. Ils jetèrent les hauts cris dans un de leurs journaux (février 1752), contre un passage du premier volume de l’Encyclopédie ; ils dénoncèrent ce passage au gouvernement et à l’église, comme attentatoire à la religion et à la vertu ; par malheur ils avaient donné quelques années auparavant (janvier 1747) les plus grands éloges à un livre d’où ce passage était tiré mot pour mot ; ils avaient surtout loué l’auteur du respect qu’il témoignait partout pour la religion et la vertu. On leur reprocha cette contradiction fâcheuse ; devinez ce qu’ils répondirent (novembre 1753) :