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pape et les évêques, trop engagés pour reculer ; il fit accepter presque sans bruit, et avec toutes les modifications qu’on voulut, cette bulle fatale, qui, présentée par les Jésuites, avait excité tant de clameurs ; appuyé des philosophes qui l’entouraient, et qui commençaient dès lors à se faire écouter, appuyé surtout de son ministre le cardinal Dubois, dont la façon de penser eu matière de religion était bien connue, il jeta sur cette guerre théologique un ridicule qui la fit cesser.

Les Jésuites, devenus moins puissants pendant la régence, recouvrèrent néanmoins bientôt la place de confesseur du roi, dont ils avaient été privés un moment ; on prétend que leur réhabilitation à la cour fut un des articles secrets de la réunion de la France avec l’Espagne en 1719. On ajoute que cet article avait été ménagé par le jésuite d’Aubenton, confesseur de Philippe V, et tout-puissant à la cour de Madrid. Pour l’honneur des ministres que la France avait alors, il faut croire que cette anecdote est une fable ; mais si par malheur elle était vraie, croit-on que des religieux qui ont usurpé dans les affaires d’État une telle influence, doivent être conservés dans l’État ?

Tout fut paisible d’ailleurs par rapport aux Jésuites pendant le reste de la régence et les ministères suivants ; ils se bornèrent à se soutenir sans faire beaucoup parler d’eux. Le cardinal de Fleury, qui ne les aimait pas, était néanmoins dans la persuasion qu’on devait les protéger avec force, comme les plus fermes appuis de la religion, dont ce ministre regardait le maintien comme essentiel au gouvernement. Cette façon de penser du cardinal de Fleury au sujet des Jésuites se trouve exprimée dans des lettres manuscrites que j’ai lues de lui ; ce sont, disait-il encore, d’excellents valets, mais de mauvais maîtres. D’après ce principe il les traita honnêtement pendant son ministère, mais sans leur marquer de faveur déclarée ; il éleva au contraire beaucoup, et les Jésuites ne lui en surent pas plus de gré, la communauté des sulpiciens, beaucoup moins illustre et moins puissante, mais aussi moins redoutable. Le cardinal de Fleury, ennemi des jansénistes, qu’il regardait comme dangereux, et en même temps peu porté pour ce qui avait trop d’éclat en quelque genre que ce fût, prit sous une protection particulière cette communauté nombreuse ; elle avait tout ce qu’il fallait pour lui en paraître digne : elle joignait au mérite d’être très dévouée à la bulle, le bonheur de n’avoir jamais fait parler d’elle. Ce ministre remplit les évêchés de France d’une foule d’élèves de Saint-Sulpice, plus recommandables par leur dévotion que par leurs lumières ; par là il jeta les premiers germes de cet état de langueur où le clergé de France paraît aujourd’hui tombé, mais