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vantage des protestans d’Allemagne. C’est lui qui écrivait à son fils, effrayé du chaos des affaires : Ne sais-tu pas, mon fils, combien le secret de gouverner le monde est peu de chose ?

Salvius, collègue d’Oxenstiern, et d’un caractère plus liant, avait toute la confiance et toute la faveur de la reine, et cependant n’était pas sans mérite ; Christine, comme tous les princes, aimait mieux être flattée que servie, mais en même temps était assez éclairée pour ne pas sacrifier tout-à-fait à son amour-propre l’honneur de son discernement et ses vrais intérêts. En faisant Salvius sénateur de Suède, quoiqu’il ne fut pas d’une maison assez noble, elle avait tenu au sénat ce discours que tous les rois devraient savoir par cœur. Quand il est question de bons avis et de sages conseils, on ne demande point seize quartiers, mais ce qu’il faut faire. Salvius serait sans doute un homme capable s’il était de grande famille… Si les enfans de famille ont de la capacité, ils feront fortune comme les autres, sans que je prétende m’y restreindre.

Cette paix de Westphalie, tant désirée, se fit enfin, en 1648, à la satisfaction réciproque de la plupart des puissances intéressées, mais au grand mécontentement d’Innocent X. Ce pape aurait voulu trouver à la fois dans la paix deux avantages incompatibles, l’abaissement de la maison d’Autriche, qu’il désirait comme prince temporel, et l’affaiblissement des protestans, qu’il souhaitait comme souverain pontife ; il publia une bulle où. il refusait le titre de reine de Suède à Christine, pour la punir d’avoir trop influé dans l’ouvrage de la paix. Une telle démarche eut été bonne au douzième siècle, lorsque les princes croyaient avoir besoin, pour l’être, de brefs et de bénédictions ; elle venait trop tard cinq cents ans après. Le nonce fit afficher à Vienne la bulle de son maître, l’empereur la fit arracher ; Innocent se tut, et il n’en fut plus question.

L’amour de Christine pour la liberté lui fit refuser tous les partis qui se présentaient pour elle, quoique plusieurs fussent très-avantageux, et que la Suède la pressât de se marier. Le roi d’Espagne, Philippe IV, un de ceux qui aspiraient à épouser la reine, s’en désista bientôt, dans la crainte de se voir obligé par cette alliance à ne plus traiter les protestans d’hérétiques. Celui de tous les prétendans qui parut le plus empressé, était Charles Gustave, cousin de Christine, prince palatin, à qui elle avait été destinée dès l’enfance ; elle fut aussi sourde pour lui que pour ses rivaux. Cependant, soit qu’il lui inspirât moins de dégoût, soit qu’elle méditât dès-lors le dessein d’abdiquer le trône, elle réussit à le faire déclarer par les États son successeur. Par cette démarche elle vint à bout et de se conserver libre, et d’assurer