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des livres de tactique et d’art militaire. C’est comme s’il eût soutenu que le feu roi de Prusse aimait les sciences, parce que son amour extrême pour ses troupes l’engageait à accorder quelque protection aux chirurgiens d’armée. Le compilateur est si prévenu pour ses souverains, qu’il loue sur l’amour des lettres jusqu’à Charles XII, qui n’avait lu en sa vie que les Commentaires de César. C’est ainsi qu’en prodiguant les éloges aux princes, on les dispense de les mériter. Mais la postérité, qui juge les écrivains et les rois, saura mettre à leur place ceux qui donnent les louanges et ceux qui les reçoivent.

Ce qui me paraît le plus frappant dans toute l’histoire de Gustave, ce sont les réflexions sages qu’on lui attribue sur les conquérans. On les croirait de Socrate, et Gustave aurait dû joindre au mérite d’en être l’auteur, la gloire de les mettre en pratique. Le mal qu’il a fait à la maison d’Autriche n’a pas rendu la Suède plus heureuse. Je ne connais presque que le czar Pierre, dont les conquêtes aient tourné à l’avantage de ses peuples, encore serait-ce une question de morale à décider, si un prince, pour augmenter le bonheur de ses sujets, doit faire le malheur de ses voisins. Pour assurer le repos de l’Empire, et humilier la maison d’Autriche, il n’était pas nécessaire que Gustave envahît en un an les deux tiers de l’Allemagne, et qu’il donnât assez de jalousie et d’ombrage à ses alliés pour que Louis XIII refusât d’avoir avec lui une entrevue dont tout l’honneur serait demeuré au roi de Suède. Gustave soutenait avec raison qu’il n’y a de différence entre les rois que celle du mérite ; mais le mérite principal d’un souverain est l’amour de l’humanité, de la justice et de la paix. Les rois qui n’ont que de la puissance, ou même que de la valeur, toujours les premiers des hommes pour leurs courtisans, sont les derniers pour le sage.

Ce prince ayant été tué, comme l’on sait (en 1632), à la bataille de Lutzen, par un coup assez singulier pour qu’on y ait cherché du mystère, Christine encore enfant lui succéda. Dans le plan que le célèbre chancelier Oxenstiern donna pour la régence, on remarque un éloignement pour le despotisme, qui doit honorer la mémoire d’un ministre d’Etat. Il paraît incliner pour un gouvernement mêlé du monarchique et du républicain ; et on ne peut disconvenir que cette forme n’ait plusieurs grands avantages, sans prétendre d’ailleurs touchera la question délicate du meilleur gouvernement possible, dont la solution peut recevoir différentes modifications par la différence des climats, de la situation, des circonstances, du génie des rois et des peuples. Mais on ne saurait soupçonner un esprit aussi éclairé qu’Oxenstiern d’avoir donné la préférence, comme quelques uns l’ont