Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettre aux écrivains raisonnables de répandre sur ces disputes le mépris qu’elles méritent ; bientôt ou elles n’existeront plus, ou elles se trouveront reléguées sur les bancs avec les controverses des scotistes et des thomistes.

Rien n’est plus facile au gouvernement que de parvenir, dans les circonstances présentes, à ce but si désiré de tous les bons citoyens, si propre à rétablir le calme dans l’État, et à réparer l’honneur de la nation française, trop avilis par de tels sujets de trouble. Le public, fatigué de tant de querelles absurdes, ne demande pas mieux que de siffler ceux qui les excitent ou qui les entretiennent ; les controverses de théologie font aujourd’hui peu de fortune, et donnent bien peu de considération à ceux qui les agitent.

Avouons-le cependant ; parmi les évêques qui sont entrés en lice pour ou contre les Jésuites, deux ont été distingués par cette saine partie de la nation, qui ne prenant aucune part au fond de la querelle, et laissant les rapsodies polémiques entassées de part et d’autre, croit plus sûr de juger les hommes par leur conduite que par leurs livres ; ces deux prélats, objets d’une considération générale, sans restriction et sans mélange, sont précisément les chefs des deux partis ; l’un d’eux existe encore, et l’autre n’est plus, l’archevêque de Paris et l’évêque de Soissons. Pourquoi la calomnie et la médisance même les ont-elles respectés ? C’est qu’on ne peut leur reprocher, ni d’avoir été au combat lorsqu’il n’y avait rien à craindre, ni de s’y être traînés à la suite des autres ; c’est que le premier s’était déclaré contre les jansénistes dans un temps où ils commençaient à se montrer redoutables, et que le second avait levé l’étendard contre les Jésuites, bien avant que leur pouvoir fût anéanti, ou même affaibli ; tous deux d’ailleurs d’une conduite irréprochable, tous deux pleins d’humanité, de vertus et de bonne foi ; tous deux enfin exilés, disgraciés, mortifiés autant qu’ils ont pu l’être, ont constamment marché sur la même ligne, et l’estime publique les en a payés ; ceux de leurs confrères qui ont écrit après eux, n’ont paru que leurs échos, ont fait peu de sensation et ont même été l’objet de la satire. Nous sommes bien éloignés de croire que cette satire soit équitable ; la religion et le respect dû aux princes de l’Église nous défend de le penser, et encore plus de le dire ; mais nous ne pouvons nous empêcher de remarquer dans cette conduite du public, et sa malignité impitoyable, lorsqu’elle peut à tort et à travers supposer à des actions louables ou courageuses des motifs qui ne le sont pas, et en même temps sa justice exacte, lorsque cette malignité dépourvue de prétexte est forcée de reconnaître la vertu et de lui rendre hommage : tant