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et c’est en ce moment que le clergé élève sa voix pour elle. Le même principe qui a fait réclamer contre cette bulle tant de prélats, d’ecclésiastiques et de religieux lorsqu’elle parut, fait parler aujourd’hui leurs successeurs avec le même zèle pour la défendre ; son arrivée a changé la doctrine ou la façon de parler des écoles ; tous les collèges, les cahiers de théologie, les séminaires sont imbus du nouveau catéchisme qu’elle nous a apporté ; tous les aspirants aux ordres, à l’épiscopat, à l’état monastique, sont élevés dans les principes de la théologie nouvelle : car celle des jansénistes n’est pas à beaucoup près si claire, qu’elle doive éclipser ce qui lui fait ombrage ; faut-il donc s’étonner si la plupart de nos prélats et de nos prêtres se montrent si fidèles à la bulle Unigenitus, et si persuadés que la conservation de la religion y est essentiellement attachée ? Les hommes n’ont qu’un certain degré de lumière, mais n’ont aussi qu’un certain degré d’audace et de mauvaise foi ; ils soutiennent par honneur et par persuasion ce qu’ils ont adopté par ignorance, par prévention ou par fanatisme. Le gouvernement a eu beaucoup de peine à faire proscrire le jansénisme à l’ancienne Sorbonne ; il en aurait autant aujourd’hui à empêcher la nouvelle Sorbonne, qui, quoi qu’on en dise, vaut à peu près l’ancienne, de se déclarer, comme elle fait hautement et dans toutes les occasions, en faveur de la bulle. Il a fallu trente ans pour la lui faire admettre ; il en faudrait du moins autant pour la lui faire oublier. Tout cela est dans la nature humaine.

Le gouvernement aurait dû sans doute ne pas s’occuper de cette guerre scolastique ; c’est là ce qui a donné à la bulle et à ses adversaires de l’existence, et occasionné des troubles dans l’État : les théologiens du temps du bon roi Louis XII disputaient entre eux comme les nôtres sur des questions ridicules, et voulaient aussi, comme les nôtres, que l’autorité s’en mêlât : que ces messieurs, disait le bon roi, s’accordent entre eux s’ils le veulent, mais qu’ils ne nous étourdissent point de leurs querelles, dont ni moi ni tout autre bon chrétien n’avons affaire.

Si le gouvernement a eu le malheur de prendre part aux disputes de nos théologiens, il a heureusement un moyen bien facile de réparer cette faute, c’est de ne s’occuper aujourd’hui de ces querelles que pour les faire cesser, et le moyen le plus efficace pour y réussir n’est pas l’autorité, qui a toujours un effet contraire sur des esprits aigris ; Dieu même ne ferait pas taire des théologiens acharnés les uns contre les autres, ils lui soutiendraient qu’ils entendent mieux que lui ses intérêts. Le vrai secret de leur imposer silence, c’est d’imprimer à leur acharnement réciproque le sceau ineffaçable du ridicule ; c’est de per-