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C’est surtout une matière abondante de réflexions, que le profond silence gardé en 1765 par les Actes de l’assemblée du clergé, au sujet des Jésuites. Ce silence a paru une preuve convaincante que l’église gallicane ne prenait pas à la société un intérêt bien vif, puisqu’elle ne daignait pas même lui dire dans son malheur un mot de consolation ; on en a conclu que les réclamations de quelques évêques contre les arrêts des parlements pour expulser cette société, n’avaient guère pour objet de la défendre, mais de venger, pour user de leurs expressions, les droits de l’épiscopat contre les usurpations qu’ils imputent à la justice séculière ; on est presque porté à croire que le clergé eût peut-être chassé les Jésuites de lui-même, si on lui en eût laissé le soin et l’honneur.

Vous verrez enfin, monsieur, par la lecture de ces actes, que la conservation des privilèges de l’Église, ou de ce que les évêques appellent ainsi, car je n’entre point dans cette question, est la seule chose qui les intéresse réellement ; ils n’ont pas à la vérité entièrement oublié, dans ces actes, de parler de leurs biens, qu’ils désirent aussi de conserver, comme il est très naturel ; mais ils n’en disent qu’un mot en passant, et seulement pour déclarer qu’ils ne sont pas disposés à y renoncer, parce que c’est de Dieu qu’ils les tiennent ; leur adhésion à la lettre circulaire de Benoît XIV, qui défend de refuser les sacrements aux jansénistes, excepté dans des cas qui ne peuvent jamais arriver, prouve qu’ils sont là-dessus beaucoup moins difficiles qu’on ne les en accuse ; et que tout ce qu’ils désirent, c’est de n’être point forcés par l’autorité séculière d’administrer aux fidèles ce qu’ils sont très disposés à leur donner. En cela ils pensent tout à la fois très chrétiennement et très-sensément ; très chrétiennement, parce qu’on doit supposer que celui qui demande les sacrements, désire et mérite de les recevoir ; très sensément, parce qu’il faut ôter aux impies, dont le nombre s’augmente de jour en jour, les prétextes, même peu fondés, que leur fournissent des sacrements donnés par sommations et par arrêts, pour profaner dans leurs discours ce que la religion a de plus respectable.

On est surpris, monsieur, que dans les actes dont nous parlons, le clergé ait fait une nouvelle déclaration en faveur de la bulle ; l’avoue qu’il aurait pu et même dû s’en dispenser ; mais cette déclaration est pourtant bonne à quelque chose, ne fût-ce qu’à donner un démenti formel aux jansénistes, qui depuis cinquante ans nous assurent que le clergé abandonnera la bulle, dès qu’elle cessera d’être soutenue et protégée par le gouvernement. Nous y voilà arrivés, monsieur ; la bulle est proscrite par les magistrats, bafouée par la nation, abandonnée par les hommes en place ;