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tuelle et la temporelle ; rien n’est plus distingué que les droits de l’une et de l’autre ; mais comme autrefois la puissance spirituelle, après avoir secoué le joug de la temporelle qui l’opprimait, a voulu à son tour opprimer celle-ci, de même quelques ministres de la religion, après avoir écarté les ténèbres qu’une philosophie audacieuse avait lâché d’y répandre, ont à leur tour voulu resserrer cette philosophie bien en-deçà des bornes que la religion lui prescrivait. Le domaine de l’une et de l’autre paraît aujourd’hui trop bien fixé, trop étendu, trop assuré même, pour avoir à redouter ces attaques réciproques : leur intérêt est d’être unies, comme celui de deux souverains puissans est de se ménager ; et si d’un côté le christianisme, appuyé par les lois divines et humaines, est établi sur des fondemens durables, de l’autre, il y a lieu de croire qu’en respectant, comme il est juste, les vérités de la foi, les philosophes du dix-huitième siècle défendront leur bien avec plus de force et d’avantage que les princes du douzième n’ont défendu leurs couronnes.

XXXII. Voilà un précis très-succinct des réflexions qui m’ont paru nécessaires sur l’abus qu’on fait dans notre siècle de la critique en matière de religion. Je ne doute point qu’on ne les approuve, quand on les examinera sans préjugés, et avec les lumières d’une saine philosophie. Je crois m’être suffisamment prémuni contre les attaques du fanatisme imbécile et hypocrite. A l’égard des personnes qu’un zèle sincère, quoique mal entendu, pourra indisposer contre moi, j’en respecterai la cause sans en craindre et sans en approuver l’effet ; et je me contenterai de leur répondre par ce passage de Cicéron : Istos homines sine contumeliâ dimittamus ; sunt enim et boni viri, et quoniam ità ipsi sibi videntur, beati.


FIN DU PREMIER VOLUME.