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Angleterre, en France, et dans la patrie protestante de l’Allemagne ? Nous disons dans la partie protestante ; car on ne peut s’empêcher d’avouer avec affliction la supériorité présente des universités de cette partie de l’Allemagne sur les écoles catholiques. Elle est si frappante, que les étrangers qui voyagent dans ce pays et qui passent d’une université catholique à une université protestante voisine, croient en une heure avoir fait quatre cents lieues ou vécu quatre cents ans, avoir passé de Salamanque à Cambridge, ou du siècle de Scot à celui de Newton. Nous en faisons la remarque avec d’autant plus de liberté, qu’on ne doit point sans doute attribuer cette différence de lumières et de savoir dans les différentes régions de l’Allemagne à la différence de religion. En France où la doctrine catholique est suivie et respectée, les sciences n’en sont pas cultivées avec moins de succès ; en Italie même elles ne sont pas négligées ; sans doute parce que les souverains pontifes, pour la plupart éclairés et sages, et connaissant les abus qui résultent de l’ignorance, sont plus à portée en Italie de réprimer, quand il est nécessaire, la tyrannie des inquisiteurs subalternes. Car tout sert de prétexte à cette espèce d’hommes méprisable et lâche, pour étouffer la lumière, et pour arrêter les progrès de l’esprit.

XXX. Il n’y a, ce me semble, qu’un moyen d’affaiblir leur empire dans les contrées malheureuses où ils dominent encore ; c’est d’y favoriser, autant qu’il est possible, l’étude des sciences exactes. Souverains qui gouvernez ces peuples, et qui voulez leur faire secouer le joug de la superstition et de l’ignorance, faites naître des mathématiciens parmi eux ; cette semence produira des philosophes avec le temps, et presque sans qu’on s’en aperçoive. L’orthodoxie la plus délicate n’a rien à démêler avec la géométrie. Ceux qui croiraient avoir intérêt de tenir les esprits dans les ténèbres, fussent-ils assez prévoyans pour pressentir la suite des progrès de cette science, manqueraient de prétexte pour l’empêcher de se répandre. Bientôt l’étude de la géométrie conduira comme d’elle-même à celle de la saine physique, et celle-ci à la vraie philosophie, qui par la lumière qu’elle répandra, sera bientôt plus puissante que tous les efforts de la superstition ; car ces efforts, quelque grands qu’ils soient, deviennent inutiles dès qu’une fois la nation est éclairée.

XXXI. C’est faire injure à la religion que de vouloir appuyer sur l’ignorance. Il en est du domaine des philosophes et de celui des théologiens, comme des deux puissances, la spiri-