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encore plus besoin d’être réprimés que les incrédules. Quelle idée le peuple doit-il se former de la religion, quand il voit ses ministres s’anathématiser réciproquement avec fureur, sans que l’autorité même puisse les forcer au silence que la charité seule aurait du leur prescrire ? Croit-on que les disputes scandaleuses des théologiens de nos jours, sur des matières souvent futiles et toujours inintelligibles, n’aient pas fait plus de tort au christianisme que tous les faibles raisonnemens des impies ? Comment ne produiraient-elles pas sur les mécréans, le même effet que produisirent sur l’empereur de la Chine les querelles des dominicains et des jésuites ? Ces hommes, disait l’empereur, viennent de cinq mille lieues nous prêcher une doctrine sur laquelle ils ne s’accordent pas. On peut juger du fruit que leur mission devait avoir. Enfin, quoi de plus propre à faire triompher en apparence l’irréligion et chanceler les faibles, que tant d’ouvrages contradictoires dont nous avons été accablés dans ces derniers temps, sur la grâce, sur les caractères de l’Eglise, sur les miracles ? Le public a fini par mépriser et ignorer tous ces écrits ; et leurs auteurs, chagrins de ne plus être lus, ont attaqué ceux qui l’étaient.

XXVIII. Réclamons autant qu’il est en nous, en faveur de l’humanité et de la philosophie, contre leurs injustes plaintes. Les faits suffiront sans raisonnemens, et n’en auront peut-être que plus de force. Ouvrons l’histoire ecclésiastique, histoire dont la lecture est tout à la fois si utile au chrétien et au philosophe ; au chrétien, pour l’animer par des exemples de vertu, et par l’accomplissement qu’ont toujours eu les promesses de Dieu, malgré les obstacles que les puissances de la terre y ont opposés ; au philosophe, par les momens incroyables et sans nombre qu’elle lui présente de l’extravagance des hommes, et surtout des maux que le fanatisme a produits. Montrons par un détail abrégé de ces maux, mais aussi effrayant qu’utile, combien le gouvernement a intérêt de défendre et d’appuyer les gens de lettres, qui, soumis aux dogmes réels de la foi, ont le courage et l’équité d’en séparer tout ce qui ne leur appartient pas. C’est en effet à eux que les souverains doivent aujourd’hui l’affermissement de leur puissance, et la destruction d’une foule d’opinions absurdes, nuisibles au bonheur de leurs Etats. C’est au contraire pour avoir confondu les objets de la religion avec ce qui leur était étranger, que les peuples ont si long-temps gémi sous le joug de la puissance temporelle des ecclésiastiques ; que les excommunications, ces armes si respectables de l’Eglise, mais dont l’abus est si méprisable, ont été prodiguées pour sou-