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la Révélation pour n’en pas profaner l’usage, et laissons madame Dacier justifier par le discours de l’ânesse de Balaam, le discours du cheval d’Achille dans Homère.

XIX. Quoique les opinions purement métaphysiques, et les sytèmes sur la formation ou sur l’arrangement du monde aient servi le plus souvent de prétexte pour tourmenter les philosophes, la calomnie n’a pas négligé pour cela d’autres moyens, quand elle a pu les mettre en usage. Peut-on se défendre d’un mouvement de pitié ou d’indignation, quand on voit un de nos plus célèbres écrivains accusé d’impiété par des journalistes, pour avoir dit, que le Jourdain est une assez petite rivière, et que la Palestine était du temps des croisades ce qu’elle est encore aujourd’hui, une des plus stériles contrées de l’Asie ? Les critiques accumulent les passages de l’Écriture pour prouver que du temps de Josué la Palestine était très-fertile ; mais que font tous ces passages à l’état de ce pays du temps de Saladin ? que font-ils à son état présent ? Pourquoi Dieu n’aurait-il pas vengé le déicide qui a été commis dans cette terre, en frappant de stérilité des contrées auparavant riches et abondantes ? ou plutôt, car les explications les plus simples sont toujours les meilleures, pourquoi cette terre asservie et dépeuplée ne serait-elle pas devenue stérile par la dépopulation même ? Mais quand on a résolu de rendre un écrivain suspect, tout devient impiété dans sa bouche ; ses preuves de l’existence de Dieu seront traitées de sophismes, ses raisonnemens en faveur de la religion, de plaisanteries faites contre elle. Écrit-il contre la superstition et le fanatisme ? c’est au christianisme qu’il en veut. Parle-t-il en faveur de la tolérance civile des religions ? il ne montre que son indifférence pour toutes.

XX. Trouvez-moi, dit Fontenelle, dans son Histoire des Oracles, une demi-douzaine d’hommes à qui je puisse persuader que ce n’est pas le soleil qui fait le jour, je ne désespère pas de le faire croire par leur moyen à des nations entières. Si quelque chose au monde est incontestable, c’est assurément cette proposition ; les religions absurdes dont l’Asie et l’Afrique sont couvertes, en fournissent la preuve la plus frappante et la plus triste. Qu’ont fait les censeurs de l’histoire des oracles ? Il ne manque, ont-ils dit, que la douzaine à la proposition de l’auteur, pour en faire une grande impiété. L’impiété est évidemment toute entière sur le compte des critiques. De ce qu’une demi-douzaine d’hommes peut entraîner des nations dans l’erreur, s’ensuit-il qu’une douzaine d’autres ne puissent leur faire