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formation du monde, si nous n’avions déjà observé que cette opinion est en elle-même tout-à-fait indifférente à la religion, pourvu qu’on ne soutienne point l’éternité du chaos. Mais nous ne pouvons nous dispenser de relever à cette occasion la maladresse d’un critique moderne. L’illustre historien de l’Académie des sciences (Fontenelle) a dit, dans quelqu’un de ses extraits, que les poissons ont été les premiers habitans de notre globe : le censeur a crié de toutes ses forces à l’impiété ; qui n’aurait cru qu’il avait l’Ecriture pour garant ? On ouvre la Genèse, et on trouve qu’il a manqué de bonne foi ou de mémoire ; car on y lit que les poissons ont été en effet les premiers animaux créés.

XVIII. Personne n’ignore qu’un passage du livre de Josué, mal attaqué par les incrédules, et mal défendu par les inquisiteurs, a été la source des malheurs de Galilée. Pourquoi, disaient avec affectation les esprits forts, Josué a-t-il ordonné au soleil de s’arrêter, au lieu de l’ordonner à la terre ? Qu’en coûte-t-il à un auteur qu’on prétend inspiré, de dire les choses telles qu’elles sont ? Pourquoi l’Esprit saint qui a dicté les Écritures, nous induit-il en erreur sur la physique en nous éclairant sur nos devoirs ? Aussi devez-vous croire, répondaient les inquisiteurs, que le soleil tourne autour de la terre. Le Saint- Esprit, qui doit le savoir, vous en assure, et ne saurait vous tromper. On a répondu aux uns et aux autres que, dans les matières indifférentes à la foi, l’Écriture peut employer le langage du peuple. Mais cette réponse ne suffisait pas, ce me semble, pour confondre l’impiété d’une part, et l’imbécillité de l’autre. On aurait du ajouter, que l’Écriture a besoin même de parler le langage de la multitude pour se mettre à sa portée. Qu’un missionnaire, transplanté au milieu d’un peuple de sauvages, leur prêche ainsi l’Évangile : Je vous annonce le Dieu qui fait tourner autour du soleil cette terre que vous habitez ; aucun de ces sauvages ne daignera faire attention à son discours ; il faudra qu’il leur tienne un autre langage pour les préparer à l’entendre ; il imitera en quelque manière cet orateur, qui racontait une fable aux Athéniens pour s’en faire écouter ; en un mot, il en fera d’abord des chrétiens, et ensuite, s’il le veut ou s’il le peut, des astronomes . Quand ils en seront là, ils ne chercheront pas le système du monde dans des passages de l’Écriture mal entendus ; et pour savoir à quoi s’en tenir sur ce sujet, ils préféreront l’observatoire au St.-Office ; ils feront comme le roi d’Espagne, lequel se trouva mieux, dit Pascal, de croire sur les antipodes Christophe Colomb qui en venait, que le papa Zacharie qui n’y avait jamais été. Respectons assez l’Écriture et