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DE L’ABUS DE LA CRITIQUE
EN MATIÈRE DE RELIGION.

I. Un auteur assez ignoré et plus digne encore de l’être, le P. Laubrussel, jésuite, donna autrefois un ouvrage que depuis long-temps on ne lit plus, et dont le titre est le même que celui de cet écrit. Il avait pour but de venger la religion des coups impuissans que lui ont portés les incrédules et les hérétiques. L’entreprise était très-louable ; il serait seulement à désirer qu’il l’eût exécutée plus heureusement, et qu’il n’eut pas mis trop souvent des déclamations et des injures à la place des raisons[1]. Néanmoins, sans approuver sa logique, on peut lui tenir compte de son zèle, si le zèle doit couvrir la multitude des inepties, comme la charité la multitude des fautes. Nous nous proposons ici un objet très-différent, qui n’est pas moins utile, et que nous tâcherons de mieux remplir. C’est de venger les philosophes des reproches d’impiété dont on les charge souvent mal à propos y en leur attribuant des sentimens qu’ils n’ont pas en donnant à leurs paroles des interprétations forcées, en tirant de leurs principes des conséquences odieuses et fausses qu’ils désavouent : en voulant enfin faire passer pour criminelles ou pour dangereuses des opinions que le christianisme n’a jamais défendu de soutenir. Entre les abus sans nombre qu’on peut reprocher à la critique, il n’en est point de plus funeste que celui dont nous allons nous plaindre, et sur lequel il soit plus nécessaire de la démasquer et de la confondre. L’importance de la matière exigerait peut-être un ouvrage considérable ; les réflexions que nous présentons n’en sont que le projet et l’esquisse ; puissent-elles mériter l’approbation des sages, également éclairés sur les droits de la foi et sur ceux de la raison ! puisse le plan d’apologie que je vais tenter en leur faveur, être goûté et saisi par quelqu’un de nos illustres écrivains, plus digne et plus capable que moi de l’exécuter !

  1. C’est une chose incroyable qu’on ait laissé paraître dans le temps, sous le sceau de l’autorité publique, cet ouvrage du P. Laubrussel, où l’auteur semble avoir pris à tâche, à la vérité innocemment et de bonne foi, de réunir dans un même volume ce qui a jamais été dit contre la religion de plus scandaleux et de plus impie, sans y répondre autrement que par des exclamations. Ce livre n’est presque absolument qu’un recueil portatif des plaisanteries les plus indécentes, et des descriptions les plus burlesques de nos mystères, imprimé avec approbation et privilége.