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moule, ont été pendant plus de soixante ans le modèle invariable de celles qui les ont suivies ; durant tout ce temps, il n’y a eu qu’une ouverture à l’Opéra, si même on peut dire qu’il y en eût une. Rameau a le premier secoué le joug, et osé tenter une autre route. Que d’objections ne fit-on pas d’abord contre cette nouveauté ? Ce ne sont pas là des ouvertures, disait-on ; comme s’il était décidé qu’une ouverture dut essentiellement commencer par un morceau grave, toujours composé à la façon de Lully, de croches et de noires pointées. Enfin nous avons adopté depuis peu le genre d’ouverture des opéras italiens ; et, s’il m’est permis de le dire, ce n’est pas en cela que nous aurions dû les imiter. Car qu’est-ce qu’une ouverture ? c’est la pièce de musique qui commence un opéra, et qui doit préparer l’auditeur à ce qu’il va entendre. Le caractère de cette pièce doit donc être différent suivant le genre de situation qu’on va mettre sous les yeux du spectateur. Pourquoi donc faut-il qu’une ouverture soit toujours formée, comme le pratiquent les Italiens, d’un allegro, d’un adagio, et d’un passe-pied ? Le passe-pied surtout, qui n’est par sa nature qu’un air de danse, et de danse vive et légère, est bien déplacé dans ce genre de symphonie. Je ne prétends point cependant, avec quelques écrivains modernes, qu’une ouverture doive être la préface et comme l’analyse de l’opéra qui doit suivre ; cette analyse et cette préface ne me paraissent pas plus intelligibles ni plus praticables que la prétendue récapitulation des points d’orgue dans les airs italiens. Mais le caractère naturel et nécessaire d’une ouverture, c’est d’être l’annonce de la première scène, la ritournelle convenable au tableau que cette scène doit présenter. Prenons pour exemple l’opéra de Thétis. La Nuit qui descend sur son char ouvre le prologue, et chante ces vers ;

Achevons notre cours paisible,
Achevons de verser nos tranquilles pavots ;
Mortels, dans votre sort pénible,
Le plus grand bien est le repos.

Que doit faire l’ouverture ? une symphonie bruyante et variée annoncera d’abord et peindra les différens mouvemens qui agitent les hommes ; cette symphonie se calment peu à peu, et s’adoucissant par degrés, dégénérera enfin, à la levée de la toile, en un sommeil qui servira de prélude et d’accompagnement au chant de la nuit. L’ouverture d’Amadis doit présenter un tableau tout opposé. Alquif et Urgande endormis, brusquement réveillés par un coup de tonnerre, forment la première scène du prologue. L’ouverture doit donc commencer par un sommeil, sur lequel la toile se lèvera à la première mesure ; et