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XXXVII. Il nous reste à examimer si l’on peut transporter à la langue française les beautés de la musique italienne chantante. Les étrangers le nient, mais on peut, les récuser pour juges ; plusieurs français en doutent, et il faut leur avouer du moins que la langue italienne sera toujours infiniment plus propre au chant que la nôtre. Mais enfin devons-nous désespérer si légèrement de pouvoir accommoder le chant italien à notre langue ? il ne s’agit peut-être que d’y accoutumer nos oreilles. Si on peut en venir à bout, c’est par la route qu’on a prise depuis assez peu de temps, en ajustant à d’excellens airs, italiens des paroles françaises, et en commençant cet essai par le genre comique, qui trouve toujours le spectateur moins sévère contre les innovations qu’on lui présente. Cette petite supercherie a très-bien réussi au théâtre italien ; on ne s’était pas précautionné contre le plaisir, et on en a eu ; ou a cru entendre de la musique française, parce qu’on n’entendait plus les paroles italiennes. C’est aussi par ce même genre comique qu’il faudra commencer pour essayer, si on le juge à propos, le nouveau genre de récitatif que nous avons proposé. Le Devin du village, dont le récitatif est très-bien fait et très-propre au débit, serait susceptible, si je ne me trompe, de l’épreuve dont il est question ; et il y a lieu de croire qu’elle y réussirait. Ainsi, en gagnant du terrain peu à peu, en ne faisant pas tout à coup des innovations trop hardies, en ne hasardant une tentative qu’après une autre, on se mettra à portée de prononcer sans partialité et sans précipitation sur une des trois propositions avancées par Rousseau, que nous ne pouvons avoir de musique ; car pour les deux autres elles me paraissent très-décidées. Je crois très-fermement avec lui, que nous n’avons point de musique, ou du moins que nous en avons trop peu pour nous, en glorifier ; mais je ne puis être de son avis dans ce qu’il ajoute, que si jamais nous en avons une, ce sera tant pis pour nous, puisque nous n’en aurons, selon lui, que quand nous aurons changé la nôtre. Je dois à cette occasion une sorte d’excuse au lecteur sur le langage que j’ai employé dans tout le cours de cet écrit. J’ai toujours parlé de la musique italienne et de la française, comme s’il y avait deux musiques, et comme si la première n’était pas en effet la seule qui méritât ce nom. C’est uniquement pour me conformer à l’usage que je me suis exprimé d’une autre manière ; et j’avoue qu’au lieu d’employer le terme de musique française, j’aurais dû dire, ce que nous appelons de la musique, et qui n’en est pas.

XXXVIII. Nous avons beaucoup moins à reformer dans nos