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musicien met dans ces airs le juste degré de plaisanterie qui doit y être ; tout ce qui est au-delà, est bouffonnerie et grimace. Mais en voilà assez sur l’expression du chant considéré en lui-même, et sur son exécution. Venons à l’accompagnement.

XXXIV. La fureur de nos musiciens français est d’entasser parties sur parties ; c’est dans le bruit qu’ils font consister l’effet ; la voix est couverte et étouffée par leurs accompagnemens, auxquels elle nuit à son tour. On croit vingt livres différens lus à la fois ; tant notre harmonie a peu d’ensemble. Faut-il s’étonner si les Italiens disent que nous ne savons pas écrire la musique ? L’origine de ce défaut vient de la prévention de nos artistes en faveur de l’harmonie au préjudice du chant, en quoi ils sont dans une grande erreur. Pour une oreille que l’harmonie affecte, il y en a cent que la mélodie touche par préférence. Ce n’est pas que nous ne reconnaissions tout le mérite d’une harmonie bien entendue. Elle nourrit et soutient agréablement le chant ; alors l’oreille la moins exercée fait naturellement et sans étude une égale attention à toutes les parties ; son plaisir continue d’être un, parce que son attention, quoique portée sur différens objets, est toujours une. C’est en quoi consiste un des principaux charmes de la bonne musique italienne ; et c’est là cette unité de mélodie dont Rousseau a si bien établi la nécessité dans sa lettre sur la musique française. C’est avec la même raison qu’il a dit ailleurs : les Italiens ne veulent pas quon entende rien dans l’accompagnement, dans la basse, qui puisse distraire l’oreille de l’objet principal, et ils sont dans l’opinion que l’attention s’évanouit en se partageant. Il en conclut très-bien qu’il y a beaucoup de choix à faire dans les sons qui forment l’accompagnement, précisément par cette raison, que l’attention ne doit pas s’y porter. En effet, parmi les différens sons que l’accompagnement doit fournir, en supposant la basse bien faite, il faut du choix pour déterminer ceux qui s’incorporent tellement avec le chant, que l’oreille en sente l’effet sans être pour cela distraite du chant, et qu’au contraire l’agrément du chant en augmente. L’harmonie sert donc à fortifier et à faire valoir un dessus bien composé ; ajoutons même, ce qui est très-vrai, qu’une basse bien faite contient tout le fond et tout le dessein du chant, que les différentes parties ne font que développer, et pour ainsi dire, détailler à l’oreille. Mais en avouant cette vérité, et en convenant même des grands effets de l’harmonie dans certains cas, reconnaissons la mélodie comme devant être presque toujours l’objet principal. Préférer les effets de l’harmonie à ceux de la mélodie, sous ce prétexte que lune est le fondement de l’autre, c’est à