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DE LA LIBERTÉ

tre-sens, et prolongés jusqu’à la fatigue, enfin dans ces points d’orgue ridicules ? A dieu ne plaise ; ces faux ornemens, loin de contribuer à l’expression, y nuisent au contraire beaucoup : mais de pareils défauts se corrigent aisément, il n’est besoin pour cela que d’effacer. Au contraire, pour rendre nos airs français expressifs, il faut y ajouter la vie qui leur manque, et cela ne se fait pas d’un trait de plume ; la musique italienne est défectueuse par ce qu’elle a de trop, la musique française par ce qui n’y est pas.

XXXIII. Non-seulement les Italiens devraient supprimer dans leurs airs la répétition si souvent ennuyeuse des mêmes paroles, ils feraient bien de supprimer aussi la répétition totale de l’air après la reprise. Nous les avons imités dans cette répétition, et nous n’en avons pas mieux fait. Peut-être aussi devraient-ils le plus souvent supprimer la reprise même, où le musicien, pour l’ordinaire, se néglige. A l’égard des roulemens, ils sont presque toujours déplacés, surtout quand on fait parler les passions ; et il faut convenir que la musique italienne moderne en est ridiculement chargée. Ce que nous disons des roulemens, nous le dirons à plus forte raison des points d’orgue, uniquement propres à faire briller le chanteur aux dépens du goût et de la nature. C’est sacrifier l’expression, c’est-à-dire, l’âme de la musique, à l’amour-propre de celui qui l’exécute, amour-propre d’ailleurs très-mal entendu ; car le sentiment rendu par l’acteur avec vérité, lui ferait bien plus d’honneur auprès des vrais juges que ses tours de force ou de souplesse. On prétend que les points d’orgue pourraient être moins fastidieux, et contribuer même à l’expression, si l’acteur les savait faire de manière qu’ils fussent comme l’abrégé et la récapitulation de l’air qu’il vient de chanter. Mais je n’entends rien à cette récapitulation prétendue ; je ne conçois pas comment elle se peut faire, ni comment tous ces fredons recherchés, mis à la suite les uns des autres pour terminer un air pathétique, n’effaceront pas l’impression qu’il a faite au lieu de la fortifier ; et je félicite ceux qui en voient là-dessus plus que moi. En général, la musique italienne moderne est encore plus défectueuse par le mauvais goût de ceux qui l’exécutent, que par les écarts de ceux qui la composent. Ce n’est pas que l’art et l’habileté des chanteurs laissent rien à désirer, c’est au contraire qu’ils n’en font paraître que trop ; c’est qu’ils ajoutent presque à chaque note des ornemens nouveaux à ceux que le compositeur avait déjà trop accumulés. Ils sont parvenus même à gâter souvent à force de charge les plus excellens airs comiques : pour l’ordinaire le