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SUR LE CALCUL

méritent que je les lise ou que je leur réponde, combattent ou appuient les nouvelles vues que je propose sur le calcul des probabilités.

P.S. En finissant cet écrite je tombe par hasard sur l’article Fatalité du dictionnaire Encyclopédique, article qu’on reconnaîtra aisément pour l’ouvrage d’un homme d’esprit et d’un philosophe ; et voici ce que j’y trouve, à propos du prétendu bonheur ou malheur dans le jeu. « Ou il faut avoir égard aux coups passés pour estimer le coup prochain, ou il faut considérer le coup prochain, indépendamment des coups déjà joués ; ces deux opinions ont leurs partisans. Dans le premier cas, l’analyse des hasards me conduit à penser que si les coups précédens m’ont été favorables, le coup prochain me sera contraire ; que si j’ai gagné tant de coups, il y a tant à parier que je perdrai celui que je vais jouer, et vice versâ. Je ne pourrai donc jamais dire : je suis en malheur, et je ne risquerai pas ce coup-là ; car je ne pourrais le dire que d’après les coups passés qui m’ont été contraires ; mais ces coups passés doivent plutôt me faire espérer que le coup suivant me sera favorable. Dans le second cas, c’est-à-dire, si on regarde le coup prochain comme tout-à-fait isolé des coups précédens, on n’a point de raison d’estimer que le coup prochain sera favorable plutôt que contraire, ou contraire plutôt que favorable ; ainsi on ne peut pas régler sa conduite au jeu, d’après l’opinion du destin, du bonheur, ou du malheur. »

De ce passage je tire deux conséquences. La première, que, suivant l’auteur de cet excellent article, on peut se partager sur la question, s’il est également probable qu’un effet arrive ou n’arrive pas, lorsqu’il est déjà arrivé plusieurs fois de suite. Or il me suffit que cela soit regardé comme douteux, pour m’autoriser à croire que l’objet de l’écrit précédent n’est pas aussi étrange que d’habiles mathématiciens l’ont imaginé. La seconde conséquence, c’est que l’analyse des hasards, telle que la conçoit l’auteur de l’article, donne moins de probabilité aux combinaisons qui renferment la répétition successive du même effet, qu’aux combinaisons ou cet effet est mêlé avec d’autres. Or cela ne se peut dire que de l’analyse des hasards considérée physiquement ; car à l’envisager du seul côté mathématique, toutes les combinaisons, comme nous l’avons dit, sont également possibles. Je crois donc pouvoir regarder l’auteur de l’article Fatalité comme partisan de l’opinion que j’ai tâché d’établir ; et un partisan de ce mérite me persuade de nouveau que cette opinion n’est pas une absurdité.