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DES PROBABILITÉS.

toutes dans un même plan, qu’il ne l’est qu’un même effet arrive cent fois de suite ; parce qu’il est peut-être plus possible qu’un seul jet, une seule impulsion produise à la fois sur différens corps un effet qui soit le même, qu’il ne l’est qu’un corps, lancé successivement au hasard cent fois de suite, prenne en retombant la même situation : ainsi le raisonnement que Bernoulli tire de ses calculs pourrait être faux, que peut-être le nôtre serait encore juste. Ceci pourrait me conduire à d’autres réflexions sur certains cas qu’on regarde comme semblables dans le calcul des probabilités, et qui, physiquement parlant, pourrait bien ne l’être pas ; mais je terminerai ici ces doutes, en avertissant que si je suis bien éloigné de les donner pour des démonstrations, je ne cesserai pas non plus de les croire fondés, tant qu’on n’y opposera que des considérations purement mathématiques, ou des réponses que je savais avant qu’on me les eût faites ; en un mot, tant qu’on ne résoudra pas d’une manière nette et précise la question que j’ai proposée sur le jeu de croix et pile, et qu’on se croira en droit de chercher une cause aux effets symétriques et réguliers.

Peut-être me dira-t-on, pour dernière ressource, que si on cherche une cause aux effets symétriques et réguliers, ce n’est pas qu’absolument parlant, ils ne puissent pas être l’effet du hasard, mais seulement parce que cela n’est pas vraisemblable. Voilà tout ce que je veux qu’on m’accorde. J’en conclurai d’abord que si les effets réguliers dus au hasard ne sont pas absolument impossibles, physiquement parlant, ils sont du moins beaucoup plus vraisemblablement l’effet d’une cause intelligente et régulière, que les effets non symétriques et irréguliers ; j’en conclurai, en second lieu, que s’il n’y a à la rigueur, et même physiquement parlant, aucune combinaison qui ne soit possible, la possibilité physique de toutes ces combinaisons, tant qu’on les supposera le pur effet du hasard, ne sera pas égale, quoique leur possibilité mathématique soit absolument la même. Cela suffira pour répondre à toutes les difficultés proposées ci-dessus, et entre autres pour résoudre la question proposée sur le jeu de croix et pile. Car dès qu’on supposera que toutes ces combinaisons ne sont pas également possibles, sans même en regarder aucune comme rigoureusement impossible dans la nature, on trouvera que Paul peut n’être pas obligé de donner à Pierre une somme infinie. C’est ce qu’il serait très-aisé de prouver mathématiquement ; c’est même de quoi un calculateur médiocre pourra facilement s’assurer. Mais ce calcul serait difficile à faire entendre au commun de nos lecteurs. Je le supprimerai donc comme ne pouvant souffrir aucune objection, et j’attendrai que des géomètres, qui