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DOUTES ET QUESTIONS SUR LE CALCUL DES PROBABILITÉS[1].


On se plaint assez communément que les formules des mathématiciens, appliquées aux objets de la nature, ne se trouvent que trop en défaut. Personne néanmoins n’avait encore aperçu ou cru apercevoir cet inconvénient dans le calcul des probabilités. J’ai osé le premier proposer des doutes sur quelques principes qui servent de base à ce calcul. De grands géomètres ont jugé ces doutes dignes d’attention ; d’autres grands géomètres les ont trouvés absurdes ; car pourquoi adoucirais-je les termes dont ils se sont servis ? La question est de savoir s’ils ont eu tort de les employer, et en ce cas ils auraient doublement tort. Leur décision, qu’ils n’ont pas jugé à propos de motiver, a encouragé des mathématiciens médiocres, qui se sont hâtés d’écrire sur ce sujet, et de m’attaquer sans m’entendre. Je vais tâcher de m’expliquer si clairement, que presque tous mes lecteurs seront à portée de me juger.

Je remarquerai d’abord qu’il ne serait pas étonnant que des formules où on se propose de calculer l’incertitude même, pussent, à certains égards au moins, participer à cette incertitude, et laisser dans l’esprit quelques nuages sur la vérité rigoureuse du résultat qu’elles fournissent. Mais je n’insisterai point sur cette réflexion, trop vague pour qu’on puisse en rien conclure. Je ne m’arrêterai point non plus à faire voir que la théorie des probabilités , telle qu’elle est présentée dans les livres qui en traitent, n’est sur bien des points ni aussi lumineuse, ni aussi complète qu’on pourrait le croire ; ce détail ne pourrait être entendu que des mathématiciens ; et encore une fois je veux tâcher ici d’être entendu de tout le monde. J’adopte donc, ou plutôt j’admets pour bonne dans la rigueur mathématique, la théorie ordinaire des probabilités, et je vais seulement examiner si les résultats de cette théorie, quand ils seraient hors d’atteinte dans l’abstraction géométrique, ne sont pas susceptibles de restriction, lorsqu’on applique ces résultats à la nature.

  1. Je ne sais si ces doutes sur certains principes généralement reçus dans le calcul des probabilités sont aussi fondes qu’ils me le paraissent ; mais je crois du moins avoir prouvé que de très-habiles mathématiciens ont supposé tacitement et sans s’en apercevoir, dans plusieurs savantes recherches, des principes semblables à ceux que je tâche d’établir.