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DE PHILOSOPHIE.

treint dans une sphère étroite bornée. Le seul moyen d’exercer avantageusement l’un et l’autre, est de les faire marcher comme d’un pas égal, et de ne pas borner ses recherches aux seuls objets susceptibles de démonstration ; de conserver à l’esprit sa flexibilité, en ne le tenant point toujours courbé vers les lignes et les calculs, et en tempérant l’austérité des mathématiques par des études moins sévères ; de s’accoutumer enfin à passer sans peine de la lumière au crépuscule. (Voyez Éclaircissement, § VI, page 157.)




§ V. Éclaircissement sur ce qui est dit, que l’art du raisonnement se réduit à la comparaison des idées, page 153.


Nous avons remarqué dans le § II, page 146, combien l’emploi des expressions figurées occasione de faux jugemens, quand on abuse de ces expressions. Le moyen le plus sûr et le plus simple de n’en pas abuser, est surtout de fixer avec soin le sens précis qu’on attache aux expressions figurées dont on est forcé de se servir. Prenons pour exemple une des façons de parier figurées qu’on a citées à la fin du § II, page 146 ; telle idée est renfermée dans telle autre. Il faut bien expliquer ce qu’on entend ici par le mot, renfermée, à cause de l’équivoque qui en peut résulter. Car je puis dire que l’idée de pierre est renfermée dans celle de marbre, en ce sens que dès que j’ai l’idée de marbre j’ai celle de pierre, dont le marbre forme une des espèces ; et je puis dire aussi que l'idée de marbre est renfermée dans celle de pierre, en ce sens que l’idée de pierre est plus générale que celle de marbre, qui n’est qu’une espèce dont pierre est le genre. Ainsi ces deux façons de parler, si différentes en apparence, et même opposées, signifient pourtant la même chose au fond ; mais il est nécessaire, pour éviter tout abus des mots, d’expliquer le sens rigoureux qu’on attache à l’une ou à l’autre de ces expressions.

Supposons donc deux idées qu’on se propose de comparer entre elles, et que nous appellerons A et B pour les distinguer. Nous dirons que l’idée A est renfermée dans l’idée B, lorsque l’idée B est une suite nécessaire de l’idée A, en sorte que l’idée A produise nécessairement l’idée B. En ce sens l’idée de marbre est renfermée dans celle de pierre, parce qu’on ne saurait avoir l’idée de marbre sans avoir celle de pierre. Mais dans le sens que nous donnons ici au mot renfermer, l’idée de pierre n’est pas renfermée dans celle de marbre, parce qu’on peut avoir l’idée de pierre sans avoir celle de marbre. Nous dirons de même que l’idée A exclut l’idée B, lorsque ces deux idées sont con-