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Il s’envole ; d’effroi l’animal hennissant
D’un inutile pied frappe l’air frémissant ;
Il se débat, succombe, et, pleurant sa défaite,
Vers moi d’un air plaintif il retourne la tête.
Déjà la terre fuit ; d’un bras désespéré
Je m’enlace aux liens dont je suis entouré.
Dans ce moment terrible, il faut que je l’avoue,
Je n’offris point de cierge à Lorette, à Padoue ;
De cet affreux péril quel saint m’eût délivré ?
Dans Celliere soudain sonne l’airain sacré :
Le monstre à ce signal précipite sa rage ;
Il court au temple : un pont s’oppose à son passage ;
Trois fois pour le franchir il fait de vains efforts,
Un pouvoir inconnu l’enchaîne sur ses bords :
Il s’étonne, indigné qu’une simple abbaye
Seule dans l’univers résiste à sa furie :
Il se trouble, il hésite ; il cède enfin aux cieux ;
Déjà de ses anneaux il déroule les nœuds ;
Et, comme au champ de Mars sous une main guerrière
L’airain tonnant d’effroi se rejette en arrière ;
Le monstre ainsi recule, et sur le pont fatal
Avec le cavalier rejette le cheval.
Sur le pont ébranlé le coursier touche à peine
Qu’il s’abat, se relève, et bondit, et m’entraîne.
Je suis avec effort ses rapides élans,
Et loin de l’arrêter j’aiguillonne ses flancs.
Du monstre à chaque pas je crois sentir l’atteinte ;
Le péril en fuyant me laisse encor la crainte :
Pareil à ce nocher qui, repoussant la mort,
D’une haleine pénible a regagné le bord,