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une corbeille donnèrent, dit-on, au sculpteur antique l’idée du chapiteau corinthien.

Un peu sèches chez Gautier, les images poussent chez Baudelaire une abondante floraison. Gautier disait de la mort :

À tous les parias elle ouvre son auberge ;

Baudelaire élargit l’image en la baignant de mystère :

C’est l’auberge fameuse inscrite sur le livre…

De même la vision :

Elle prête des lits à ceux qui sur le monde
Comme le Juif errant font jour et nuit leur ronde,

donne chez Baudelaire :

C’est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus…

Quelle différence encore entre cette note réaliste confiée à un rythme assez sec :

Peut-être n’a-t-on pas sommeil, et quand la pluie
Filtre jusques à vous l’on a froid, l’on s’ennuie
Dans sa fosse tout seul ;

et cette strophe si pleine, si pondérable, où les mots semblent se détacher comme des gouttes suintant d’une voûte funéraire :

Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d’un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n’auras pour alcôve et pour manoir
Qu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse…

(Remords posthume.)