Page:Dérieux - Baudelaire, 1917.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 23 —

Albertus, malgré de beaux passages, nous semble vraiment aujourd’hui un bric-à-brac assez poussiéreux, par contre la Comédie de la Mort, mérite encore, et plus qu’on ne le croirait, notre attention.

Dans la mort Gautier célèbre, par exemple, l’espoir et le refuge de la vie :


C’est la seule qui donne aux grands inconsolables
            Leur consolation…
Elle prête des lits à ceux qui, sur le monde,
Comme le Juif errant font jour et nuit leur ronde
            Et n’ont jamais dormi…
À tous les parias elle ouvre son auberge…


Ô surprise ! ce n’est pas autrement que Baudelaire la célébrera à son tour. Est-il besoin de rappeler :


C’est la mort qui console, hélas, et qui fait vivre ;
C’est le but de la vie, et c’est le seul espoir
Qui nous donne le cœur de marcher jusqu’au soir…
C’est l’auberge fameuse inscrite sur le livre…
C’est un ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus…

(La Mort des Pauvres.)


Comme on le voit, les images de Baudelaire sont les images même de Gautier : consolation, repos, auberge, lit… Cette dernière image, la plus touchante, appartient même doublement à Gautier, car on la retrouve encore dans un autre de ses poèmes, Ténèbres :


Le Néant a des lits et des ombrages frais.
La Mort fait mieux dormir que son frère Morphée
Et les pavots devraient jalouser les cyprès…