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LA REVUE DE PARIS

Nous fûmes dirigés sur les baraques de Malplaquet, où il y avait déjà un grand nombre de convalescents qui avaient l’air assez bien portant. Là, nous comptions reprendre, mon ami et moi, nos études un instant interrompues par ce changement. Mais, hélas ! mon ami fut pris presque en arrivant pour les bureaux de l’intendance. Nous fûmes obligés de nous séparer avec bien des regrets et pour ne plus jamais nous revoir. Obéissant à une recommandation que cet ami me fit alors, je ne puis citer ici son nom, ni son vrai pays. N’importe, ce fut pour moi le premier homme vraiment digne de ce nom ; plus tard j’en ai connu encore quatre ou cinq, dont quelques-uns pouvaient l’égaler mais non le surpasser. C’est lui qui m’a communiqué l’étincelle de la pensée et de la réflexion, qui fait de l’homme un être supérieur à tous ses confrères terrestres.

Huit jours après, j’eus, moi aussi, mon petit emploi. On avait demandé parmi nous des volontaires pour aller soigner les malades comme infirmiers auxiliaires. Nous partîmes une vingtaine. On nous envoya à l’ambulance de Ramis-Tchiflik, non loin de Daoud-Pacha. C’était l’ambulance des typhoïdes, où régnait en permanence le plus terrible, le plus dégoûtant des fléaux : presque tous ceux qui en ont été atteints sont sortis par la porte de l’amphithéâtre ; ceux qui ont survécu ont perdu l’intelligence ou l’usage de quelque membre. En arrivant, un sergent infirmier demanda s’il n’y avait pas de comptable parmi nous ; comme personne ne répondait, il vint brusquement vers moi qui, le plus petit, me trouvais le dernier comme d’habitude :

— Vous savez lire, vous, j’en suis sûr.

— Oui, sergent, je sais lire, mais pas beaucoup écrire.

— Ça ne fait rien ; allez là-bas trouver le vaguemestre ; celui-là vous apprendra.

Je croyais qu’il se moquait de moi d’abord ; mais, en montrant la baraque du doigt, il me dit :

— Dépêchez-vous.

Je fus bien obligé d’obéir. Ce vaguemestre était un simple sergent qui me demanda aussi si je savais lire et écrire :

— Oui, sergent, je lis assez bien, mais j’écris très mal.

— Ça suffit. Il s’agit seulement de m’aider à distribuer les