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MÉMOIRES D’UN PAYSAN BAS-BRETON

restai loger chez mon père, dans ce triste logement et dans ce même lit qui me rappelèrent tant de misères. Ma mère pleura un peu et fit son possible pour réunir de quoi me faire des galettes pour la dernière fois. C’était la dernière fois, en effet. Je ne devais plus les revoir ni l’un ni l’autre. Tous deux, après avoir mené une assez longue vie de misère, ont fini par en mourir, quelques années après mon départ.

Le lendemain, après un dernier adieu, je les quittai, le cœur gros et les larmes aux yeux. En arrivant à Quimper, j’allai tout droit chez mon vieux Robic, en lui disant que j’avais tout ce qu’il fallait, et aussitôt nous nous dirigeâmes vers le recrutement après, toutefois, avoir lavé à mon vieil ami son gosier toujours « crassé » comme il le disait. Cette fois encore ce ne fut pas long. Aussitôt qu’on eut jeté un coup d’œil sur mes papiers, on me fit conduire à la mairie par un soldat, pour contracter mon engagement. Robic vint aussi pour servir de témoin. En traversant la place Saint-Corentin, je regardai partout pour voir si mon patron, qui se trouvait souvent de ce côté, n’y était pas ; par bonheur, il n’y était pas. À la mairie on me demanda si j’étais content de contracter un engagement de sept ans. Je répondis fortement :

— Oui.

— Vous ne savez pas signer ?

Je répondis : « Non ! » quoique j’aurais bien pu mettre mon nom peut-être, tant bien que mal. Quand ce fut fait, le soldat me dit de retourner au bureau de recrutement à deux heures.

Je fus exact. On me dit alors que j’étais versé au 37e de ligne, à Lorient, où je devais être rendu le 25 août, et nous étions le 21. On me donna ma feuille de route avec trois francs pour mon voyage ; c’était alors toute ma fortune et je disais à Robic qui m’accompagnait toujours :

— Si maintenant Danion refuse de me donner mes gages, n’ayant pas fini mon année et étant parti de chez lui sans rien dire, je vais arriver au régiment sans un sou, ce qui ne sera pas sans doute bien agréable.

— Non, — dit mon vieux, — il te faudrait, pour bien arriver, au moins cinquante ou soixante francs ; autrement, tu seras malheureux de suite en commençant. Mais le maire ne peut pas te refuser ce que tu as gagné, et puis, tu as bien