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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

laire dans mes poches, et je me trouvais prêt à reprendre le travail comme les autres.

Je réussis à cacher ainsi mon jeu pendant plus de trois mois, car le maire ne faisait guère attention à la disparition de son journal, que je remettais du reste, le plus souvent, à la place où je l’avais pris, après avoir essayé, à l’aide de mon petit guide, de déchiffrer quelque chose de son contenu. Cependant, un dimanche du mois d’avril, j’allai chercher des nids, toujours avec mon petit bagage enseignant. La journée était belle, chaude même. Après avoir parcouru plusieurs champs sans trouver aucun nid, je m’assis dans un coin, sur l’herbe, déjà bien haute en cet endroit ; je pensais être à l’abri de tout œil indiscret ; je déployai mon journal et mon vocabulaire. J’avais déjà lu et relu pour la troisième fois ce journal en cherchant à comprendre ou à deviner tous les mots ; malheureusement, beaucoup de ces mots ne se trouvaient pas dans mon petit vocabulaire, notre pauvre langue bretonne étant trop arriérée pour avoir des mots correspondant aux mots français. J’allais recommencer pour la quatrième fois, lorsqu’un éclat de rire, bien connu de moi, me fit dresser la tête. J’avais devant moi la belle nièce de M. le maire, — la folle, comme le maire lui-même l’appelait. Elle avait ses mains croisées sur son tablier, sa lèvre inférieure doublant sur la supérieure, et elle faisait, des yeux et de la tête, des signes d’étonnement ; elle finit par dire : « Eh bien, eh bien, voilà un petit paysan qui veut lire dans les journaux ! Pourquoi allez-vous vous cacher pour lire ? » Je lui dis que j’avais appris à lire le breton étant tout jeune, et que, pendant l’année que je venais de passer à Kermahonec, j’avais essayé, grâce aux petits papiers semés par les écoliers, de déchiffrer un peu le français et même de l’écrire, et pour le lui prouver, je lui lis tout un article qu’elle comprenait très bien, me dit-elle, puisqu’elle savait le français, tandis que moi je le comprenais à peu près comme je comprenais le latin, même moins, je crois, car le petit livre de messe que le curé m’avait donné était moitié breton et moitié latin, et j’avais appris tout le latin qui était dedans ; je l’avais trouvé plus facile que le français.

Après avoir manifesté tout son étonnement, elle me dit

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15 Décembre 1904