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LA REVUE DE PARIS

pour charger les armes, puis on se mit en route, en se dirigeant vers le centre de la ville. Je voyais partout du monde aux fenêtres sans lumière. Je voyais aussi des civils groupés dans les ruelles, et d’autres qui filaient comme des ombres le long des murs.

Nous arrivâmes sur la place Bellecour ; elle était remplie de civils qui s’éloignèrent pour nous faire place. On entendait de tous côtés de sourds murmures et même des cris de : Vive la République ! C’était donc une révolution qui venait d’éclater subitement ? Dans nos rangs, toutes sortes de propos couraient. J’étais le dernier de ma compagnie de voltigeurs et, par conséquent, du bataillon ; je me trouvais hors des rangs. Piqué par la curiosité autant que par la gravité de la situation, je fis quelques pas en arrière, comme si je voulais faire éloigner quelques civils qui se trouvaient là, et vivement je demandai à l’un d’eux ce qu’il y avait de nouveau ; il me répondit à voix basse, mais très intelligiblement : « L’empereur est assassiné. »

Nous restâmes sur la place plus de deux heures, pendant que d’autres bataillons stationnaient ailleurs ou parcouraient la ville, l’arme sur l’épaule droite et baïonnette au canon. Le lendemain, tout le monde sut l’événement par une dépêche envoyée dans la nuit et affichée partout. L’empereur avait manqué, en effet, d’être assassiné le soir, en allant à l’Opéra, par la bombe du fameux Orsini : plusieurs hommes de son escorte avaient été tués ou blessés, et la voiture impériale avait été renversée et brisée, mais « grâce à la Providence », l’empereur n’avait eu aucun mal. La France pouvait toujours crier : Vive l’empereur ! et dormir en paix. Les assassins avaient été arrêtés.

Deux mois environ après cet événement, nous quittions encore Lyon pour nous rendre au camp de Châlons. Ce fut au camp de Châlons que j’eus l’honneur de voir pour la première fois Leurs Majestés Impériales. Elles arrivèrent au camp au moment où les grandes manœuvres se terminaient : Elles rentraient de leur voyage dans l’ouest, où l’empereur était allé prouver aux Normands et aux Bretons qu’il n’avait pas été assassiné par Orsini, comme beaucoup de gens persistaient à le croire, et pour leur faire voir aussi qu’il avait doté la France