Page:Déguignet - Mémoires d un paysan bas breton.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
613
MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

la route de Montélimar. J’avais deux jours pour m’y rendre. Tout le long de la route, je repassai ma théorie et les devoirs du caporal, de peur de me tromper lorsque je serais appelé à les réciter devant l’adjudant de mon bataillon, car ce serait là, sans doute, les premières choses sur lesquelles on m’attaquerait en arrivant. Cela ne manqua pas. Le bruit avait couru tout le régiment qu’un certain Déguignet, qui n’était même pas élève-caporal, venait d’être nommé presque de force, grâce à ses connaissances théoriques.

Le lendemain de mon arrivée, quoique ce ne fût pas jour de théorie, l’adjudant me fit appeler. Il me questionna sur tous les points de la théorie et sur les devoirs du caporal, en France comme en campagne ; je répondis à toutes ses questions. Il me dit alors qu’on ne l’avait pas trompé sur mon compte et que, désormais, je pouvais m’abstenir d’aller à la théorie récitative, sauf lorsque je serais particulièrement appelé. Me voilà donc, dès le premier jour, débarrassé du plus grand ennui et du plus grand embarras des caporaux. C’était beaucoup. Bien des collègues auraient payé cher pour en arriver là. Cependant, je trouvai qu’il m’en restait encore assez à faire.

Le premier dimanche de mon arrivée dans ma nouvelle compagnie, je vois presque tous les caporaux punis, quelques-uns, il est vrai, pour leur théorie ; mais il y en avait aussi pour manque de surveillance dans leur escouade, un autre pour son service de semaine. C’était surtout cette fameuse « semaine », le cauchemar de tous les gradés, qui me trottait alors dans la tête : il était rare, en ce temps, qu’un caporal se retirât de sa semaine sans punitions, souvent plus de jours de punitions que de jours dans la semaine, car un caporal de semaine était alors le chien courant de tout le monde : souvent on l’appelait en deux endroits à la fois, sinon en trois. Pendant que vous étiez retenu par le sergent de garde de la police pour les hommes de corvée du quartier, le vaguemestre vous portait quatre jours de consigne pour avoir manqué à la distribution des lettres et vice versa. Je fus assez heureux, cependant, dans ma première semaine ; je m’en tirai sans punition. Dans mon escouade, j’avais affaire à de vieux soldats qui connaissaient à peu près leur métier.