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Messieurs, allons, continua ce bon Homme, au-devant de Monsieur Descartes ; descendons, le voilà qui arrive, il n’est qu’à trois lieues d’ici. » Pour moi, je demeurai fort surpris de cette saillie ; car je ne pouvois comprendre comment il avait pu savoir l’arrivée d’une personne de qui nous n’avions point reçu de nouvelles. « Assurément, lui dis-je, vous venez de le voir en songe ? — Si vous appelez songe, dit-il, ce que votre âme peut voir avec autant de certitude que vos yeux le jour quand il luit, je le confesse. — Mais, m’écriai-je, n’est-ce pas une rêverie, de croire que Monsieur Descartes que vous n’avez point vu depuis votre sortie du Monde de la Terre, est à trois lieues d’ici, parce que vous vous l’êtes imaginé ? »

Je proférais la dernière syllabe, comme nous vîmes arriver Descartes. Aussitôt Campanella courut l’embrasser. Ils se parlèrent longtemps ; mais je ne pus être attentif à ce qu’ils se dirent réciproquement d’obligeant, tant je brûlois d’apprendre de Campanella son secret pour deviner. Ce philosophe qui lut ma passion sur mon visage, en fit le conte à son ami, et le pria de trouver bon qu’il me contentât. M. Descartes riposta d’un souris, et mon savant précepteur discourut de cette sorte : « Il s’exhale de tous les corps des espèces, c’est-à-dire des images corporelles qui voltigent en l’air. Or ces images conservent toujours malgré leur agitation, la figure, la couleur et toutes les autres proportions de l’objet dont elles parlent ; mais comme elles sont très subtiles et très déliées, elles passent au travers de nos organes sans y causer aucune sensation ; elles vont jusqu’à l’âme, où elles s’impriment à cause de la délicatesse de sa substance, et lui font ainsi voir des choses très éloignées que les sens ne peuvent apercevoir : ce qui arrive ici ordinairement, où l’esprit n’est point engagé dans un corps formé de matière grossière,