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qui va aussi pour être jugé à la Province où nous allons ; son Oiseau sans doute est plus fort que le nôtre, ou bien nous nous sommes beaucoup amusés, car il n’est parti que depuis moi. » Je lui demandai de quel crime ce malheureux étoit accusé : « Il n’est pas simplement accusé nous répondit-elle ; il est condamné à mourir, parce qu’il est déjà convaincu de ne pas craindre la mort. — Comment donc ? lui dit Campanella, les lois de votre Pays ordonnent de craindre la mort ? — Oui, répliqua cette femme, elles l’ordonnent à tous, hormis à ceux qui sont reçus au Collège des Sages ; car nos magistrats ont éprouvé, par de funestes expériences, que qui ne craint pas de perdre la vie est capable de l’ôter à tout le monde. »

Après quelques autres discours qu’attirèrent ceux-ci, Campanella voulut s’enquérir plus au long des mœurs de son Pays. Il lui demanda donc quelles étoient les lois et les coutumes du Royaume des Amans ; mais elle s’excusa d’en parler, à cause que n’y étant pas née, et ne le connoissant qu’à demi, elle craignoit d’en dire plus ou moins. « J’arrive à la vérité de cette Province, continua cette femme ; mais je suis, moi et tous mes prédécesseurs, originaire du Royaume de Vérité. Ma mère y accoucha de moi, et n’a point eu d’autre enfant. Elle m’éleva dans ce pays jusqu’à l’âge de treize ans, que le Roi, par avis des Médecins, lui commanda de me conduire au Royaume des Amans d’où je viens, afin qu’étant élevée dans ce palais d’Amour, une éducation plus joyeuse et plus molle que celle de notre Pays, me rendît plus féconde qu’elle. Ma mère m’y transporta et me mit dans cette maison de plaisance.

« J’eus bien de la peine auparavant que de m’apprivoiser à leurs coutumes : d’abord elles me semblèrent fort rudes ; car, comme vous savez, les opinions que nous avons sucées avec le lait, nous paroissent toujours les