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s’écria-t-il, ce n’est point un Démon qui me révèle vos pensées… » Ce nouveau tour de Devin me le fit observer avec plus d’attention qu’auparavant, et je remarquai qu’il contrefaisoit mon port, mes gestes, ma mine, situoit (223) tous ses membres, et figuroit toutes les parties de son visage sur le patron des miennes ; enfin mon ombre en relief ne m’eût pas mieux représenté. « Je vois, continua-t-il, que vous êtes en peine de savoir pourquoi je vous contrefais, et je veux bien vous l’apprendre. Sachez donc qu’afin de connoître votre intérieur, j’arrangeai toutes les parties de mon corps dans un ordre semblable au vôtre ; car étant de toutes parts situé comme vous, j’excite en moi par cette disposition de matière, la même pensée que produit en vous cette même disposition de matière. « Vous jugerez cet effet-là possible, si autrefois vous avez observé que les gémeaux (224) qui se ressemblent ont ordinairement l’esprit, les passions, et la volonté semblables ; jusque-là qu’il s’est rencontré à Paris deux bessons qui n’ont jamais eu que les mêmes maladies et la même santé ; se sont mariés, sans savoir le dessein l’un de l’autre, à même heure et à même jour ; se sont réciproquement écrit des lettres, dont le sens, les mots et la constitution étoient de même, et qui enfin ont composé sur un même sujet une même sorte de vers, avec les mêmes pointes, le même tour et le même ordre. Mais ne voyez-vous pas qu’il étoit impossible que la composition des organes de leurs corps étant pareille dans toutes ces circonstances, ils n’opérassent d’une façon pareille, puisque deux instruments égaux touchés également doivent rendre une harmonie égale ? Et qu’ainsi conformant tout à fait mon corps au vôtre, et devenant pour ainsi dire votre gémeau, il est impossible qu’un même branle de matière ne nous cause à tous deux un même branle d’esprit. »

Après cela il se remit encore à me contrefaire, et