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Cette voix alloit je pense entamer un autre discours ; mais le bruit d’une grande alarme qui survint l’en empêcha. Toute la forêt en rumeur ne retentissoit que de ces mots : Gare la peste ! et Passe parole ! (220)

Je conjurai l’arbre qui m’avoit si longtemps entretenu, de m’apprendre d’où procédoit un si grand désordre. « Mon ami, me dit-il, nous ne sommes pas en ces ’quartiers-ci encore bien informés des particularités du mal. Je vous dirai seulement en trois mots que cette peste, dont nous sommes menacés, est ce qu’entre les hommes on appelle embrasement ; nous pouvons bien le nommer ainsi, puisque parmi nous il n’y a point de maladie si contagieuse. Le remède que nous y allons apporter, c’est de roidir nos haleines, et de souffler tous ensemble vers l’endroit d’où part l’inflammation, afin de repousser ce mauvais air. Je crois que ce qui nous aura apporté cette fièvre ardente est une Bête à feu (221) qui rôde depuis quelques jours à l’entour de nos bois ; car comme elles ne vont jamais sans feu et ne s’en peuvent passer, celle-ci sera sans doute venue le mettre à quelqu’un de nos arbres.

« Nous avions mandé l’animal Glaçon pour venir à notre secours ; cependant il n’est pas encore arrivé. Mais adieu, je n’ai pas le temps de vous entretenir, il faut songer au salut commun ; et vous-même prenez la fuite, autrement, vous courez risque d’être enveloppé dans notre ruine. »

Je suivis son conseil, sans toutefois me beaucoup presser, parce que je connoissois mes jambes. Cependant je savois si peu la carte du Pays, que je me trouvai au bout de dix-huit heures de chemin au derrière de la forêt dont je pensois fuir ; et pour surcroît d’appréhension, cent éclats épouvantables de tonnerre m’ébranloient le cerveau, tandis que la funeste et blême lueur de mille éclairs venoient éteindre mes prunelles.