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elle fit tant qu’elle en recouvra de plusieurs endroits ; et parce qu’elle appréhendoit l’amour, étant toujours craintive, que celles d’un arbre eussent moins de force que de l’autre, elle voulut qu’il goûtât de toutes les deux ; mais à peine les eut-il mangées, que l’image d’Écho s’effaça de sa mémoire, tout son amour se tourna vers celui qui avoit digéré le fruit, il fut l’amant et l’aimé ; car la substance tirée de la pomme de Pylade, embrassa dedans lui celle de la pomme d’Oreste. Ce fruit jumeau répandu par toute la masse de son sang, excita toutes les parties de son corps à se caresser ; son cœur où s’écouloit leur double vertu rayonna ses flammes en dedans ; tous ses membres, animés de sa passion, voulurent se pénétrer l’un l’autre. Il n’est pas jusqu’à son image, qui brûlant encore parmi la froideur des fontaines, n’attirât son corps pour s’y joindre : enfin le pauvre Narcisse devint éperdument amoureux de soi-même.

« Je ne serai point ennuyeux à vous raconter sa déplorable catastrophe ; les vieux siècles en ont assez parlé. Aussi bien, il me reste deux aventures à vous réciter qui consommeront mieux ce temps-là.

« Vous saurez donc que la belle Salmacis fréquentoit le berger Hermaphrodite, mais sans autre privauté que celle que le voisinage de leur maison pouvoit souffrir, quand la Fortune qui se plaît à troubler les vies les plus tranquilles, permit que dans une assemblée de jeux, où le prix de la beauté et celui de la course étoient deux de ces pommes, Hermaphrodite eût celle de la course, et Salmacis celle de la beauté. Elles avoient été cueillies, quoique ensemble, à divers rameaux parce que ces fruits amoureux se mêloient avec tant de ruse, qu’un de Pylade se rencontroit toujours avec un d’Oreste ; et cela étoit cause que, paroissant jumeaux, on en détachoit ordinairement une couple. La belle Salmacis mangea sa pomme,