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voient davantage émouvoir, qu’elle daignât instruire une personne qui n’avoit risqué les périls d’un si grand voyage que pour apprendre. J’ouïs dans ce temps-là deux ou trois voix qui lui faisoient, pour l’amour de moi, les mêmes prières, et j’en distinguai une qui lui dit comme si elle eût été fâchée :

« Or bien, puisque vous plaignez tant vos poumons, reposez-vous ; je lui vais conter l’histoire des Arbres Amans. — Oh ! qui que vous soyez, m’écriai-je en me jetant à genoux, le plus sage de tous les Chênes de Dodonne qui daignez prendre la peine de m’instruire, sachez que vous ne ferez pas leçon à un ingrat ; car je fais vœu, si jamais je retourne à mon globe natal, de publier les merveilles dont vous me faites l’honneur de pouvoir être témoin. » J’achevois cette protestation, lorsque j’entendis la même voix continuer ainsi : « Regardez, petit Homme, à douze ou quinze pas de votre main droite, vous verrez deux arbres jumeaux de médiocre taille, qui confondant leurs branches et leurs racines, s’efforcent par mille sortes de moyens de ne devenir qu’un. »

Je tournai les yeux vers ces plantes d’amour, et j’observai que les feuilles de toutes les deux légèrement agitées d’une émotion quasi volontaire, excitoient en frémissant un murmure si délicat, qu’à peine effleuroit-il l’oreille, avec lequel pourtant on eût dit qu’elles tâchoient de s’interroger et de se répondre.

Après qu’il se fut passé environ le temps nécessaire à remarquer ce double végétant, mon bon ami le Chêne reprit ainsi le fil de son discours :

« Vous ne sauriez avoir tant vécu sans que la fameuse amitié de Pylade et d’Oreste soit venue à votre connoissance ?

« Je vous décrirois toutes les joies d’une douce passion,